mardi 5 août 2014

De Quillan à Caudiès-de-Fenouillèdes en 1821

Fossiles d'huîtres et chèvres bien élevées

En 1821, deux hommes sont envoyés par l'État français pour parcourir les Pyrénées d'ouest en est. Leur mission est de montrer, à travers un futur livre, que même si les Alpes c'est très beau, eh bien, malgré tout,  les Pyrénées restent méconnues et sont pourtant également dignes d'intérêt. Joseph Antoine Cervini se charge de rédiger les textes, Antoine-Ignace Melling d'illustrer le tout.  Le résultat est un livre passionnant paru en 1830 sous le titre suivant :
Voyage pittoresque dans les Pyrénées françaises et dans les départements adjacents ou Collection de 72 gravures représentant les sites, les monuments et les établissements les plus remarquables du Pays basque, de la Navarre, du Béarn, du Bigorre, des comtés de Comminges et de Foix et du Roussillon.

Vieux papiers des Pyrénées-Orientales
Antoine Ignace Melling vers 1830


Nous nous intéresserons ici exclusivement à la partie qui concerne les Pyrénées-Orientales. Avant de rentrer dans le vif du sujet avec les différents monuments rencontrés sur leur périple, j'ai pensé qu'il était intéressant de lire le récit de leur arrivée dans le département, à travers la même route de Quillan à Caudiès-de-Fenouillèdes que l'on a pu voir décrite dans les itinéraires pour vélo en 1889. Le texte est un peu long, mais on revit la vie des habitants de Caudiès-de-Fenouillèdes, à travers son aubergiste, M. Armagnac (ça ne s'invente pas), ses troupeaux de chèvres bien éduquées et ses fossiles suggestifs.

Vieux papiers des Pyrénées-Orientales


Nous entrâmes le lendemain dans le département des Pyrénées-Orientales par la grande route que nous avions vue s'embrancher, au Pont de Charles, avec celle de la vallée de l'Aude. Cette route presque toujours montante jusqu'au col Saint-Louis est belle, large et fort bien entretenue. Elle est tracée sur le flanc nord de la montagne de Fanges et domine l'étroit vallon où coule la Vallette, rivière qui prend sa source au Nord-Ouest de Saint-Louis. Le petit village de ce nom se montre sur la gauche à la lisière d'un bassin profond sur lequel on plonge, lorsqu'on est près de traverser le col où une borne-frontière indique la séparation des deux départements limitrophes. C'est dans la même direction que l'on voit aussi le Pic de Bugarach dont les pentes méridionales, dénuées de végétation, laissent reconnaitre au loin le calcaire blanc-jaunâtre qui en compose la masse entière.

Dès qu'on a franchi le Col Saint-Louis la route devient très mauvaise; creusée sur le roc, jamais réparée, n'ayant souvent que la largeur rigoureusement nécessaire pour une seule voiture, resserrée à gauche par des rochers, et parfois suspendue à droite sur un profond précipice, elle présente un passage difficile et même dangereux. Quelques précautions que l'on puisse prendre pour retenir la voiture, il est de la prudence de mettre pied à terre. Nous y avons vu les postillons des diligences,de Toulouse à Perpignan, malgré le soin qu'ils avaient pris d'attacher fortement les roues de derrière, descendre de leurs chevaux et les conduire à la main. L'aspect des plaines du Roussillon et des chaînons des montagnes qui les coupent du couchant au levant ; la vue de la Méditerranée que l'on aperçoit à l'Est au-delà de Perpignan ; l'observation des inflexions si remarquables des strates calcaires et schisteux au milieu desquels passe la route, principalement au moment de traverser la Boulsane, tels sont les sujets de distraction que nous offrons en dédommagement de la peine que l'on prendra de faire à pied cette descente qui s'effectue d'ailleurs en moins d'une heure de marche.

Arrivés à Caudiès nous descendîmes à l'Auberge de Saint-Jean-Baptiste, tenue par Armagnac. C'est là que s'arrêtent les diligences et les voitures particulières. Le propriétaire de l'auberge se plaît à faire remarquer cette circonstance, pour prouver la supériorité de sa maison sur les autres hôtelleries de la ville. Il fait surtout valoir la préférence que lui accorde M. le baron de La Rochefoucault pendant sa tournée dans les sapinières des environs. Excellent homme et très-serviable, l'aubergiste Armagnac se donna beaucoup de mouvement pour nous procurer tous les agréments que présentaient la ville et les alentours, et ajouta à ses prévenances le don d'un certain nombre de coquilles fossiles, recueillies dans les montagnes et les vallées voisines; parmi ces coquilles était une hystérolithe d'une grande dimension et d'une conservation parfaite; nous n'en avions pas encore trouvé de la même espèce dans les autres cantons des Pyrénées (1).

(1) Cette espèce de coquilles n'est pas rare dans le département des Pyrénées-Orientales. Nous en avons recueilli une grande quantité, peu de jours après, dans le territoire du village de Coustouges, canton de Prats-de-Mollo.

Pendant qu'à notre insu M. Armagnac mettait à contribution tous les habitants de Caudiès pour nous faire cette galanterie, et que nous étions devant la porte de sa maison à respirer l'air frais du soir, nous vîmes arriver un grand nombre de chèvres qu'un seul gardien conduisait. Le long de la rue qui aboutit à la place où l'auberge est située et à l'entrée des rues latérales, ces chèvres se séparaient successivement du troupeau et se dirigeaient seules vers les habitations de leurs maîtres. Au son perçant d'un cornet à bouquin nous les revîmes encore le lendemain à l'aube du jour, et au moment de notre départ, se rassembler toutes sur la même place et partir en troupeau pour les pâturages des montagnes. C'est avec le lait de ces chèvres que l'on fait dans les Bastides et les métairies de la vallée de la Boulsane des fromages frais, dont le goût exquis nous rappela les meilleures recuites d'Italie. Cette particularité peu importante en elle-même ajouta néanmoins à l'impression générale qu'excitèrent en nous la vue des maisons de Caudiès, bâties en maçonnerie et recouvertes en tuiles, la physionomie de ses habitants, leur patois principalement composé d'un latin corrompu, leur prononciation, et surtout le climat, la sérénité de l'air, l'éclat d'une lumière toujours abondante et pure, le mode de culture du sol et ses divers produits. Il nous semblait être dans une des villes du beau pays que sépare l'Apennin et qu'environnent la mer et les Alpes (2).

(2) ...il bel paese. Ch'Appennin parte e 'l mar circonda e l'Alpe. (Petrarca)

Selon le Littré (publié de 1872 à 1877), un hystérolithe, du grec hystéro (matrice, qui a donné utérus) et lithe (pierre), est en minéralogie une pétrification qui offre une représentation assez exacte des parties de la femme. Ce peut donc être aussi bien un caillou quelconque ou un fossile dont la forme suggestive lui fait attribuer ce nom. Dans le cas qui nous intéresse, on trouve notamment à Caudiès des fossiles d'huîtres (j'en ai un quelque part à la maison de cet endroit précis), ceux-ci pourraient répondre à cette description.

Vieux papiers des Pyrénées-Orientales
Huître fossile

Autre remarque : il est courant pour les voyageurs de l'époque de qualifier de latin corrompu l'occitan ou le catalan qu'ils entendent autour d'eux, comme s'ils ne pouvaient imaginer que les provinciaux puissent avoir une véritable langue différente du français.

Source : Rosalis (Bib. num. de Toulouse)
Portrait d'Antoine Ignace Melling : Pierre Roch Vigneron vers 1830 (domaine public, via Wikimedia Commons)
Photo bandeau titre : Fabricio Cardenas (CC-BY-SA)
Photo fossile :
Gryphaea arcuata Lamarck, 1801 (France), par Parent Géry (CC-BY-SA, via Wikimedia Commons)


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