mardi 31 mai 2016

Impressions d'une anglaise à Prades en 1880

Un petit air de paradis...

Depuis plusieurs siècles déjà, les touristes britanniques fréquentent les Pyrénées, que ce soit par curiosité, par désir d'aventure ou pour les bienfaits de ses diverses stations thermales. Les différentes vallées des Pyrénées-Orientales n'ont pas échappé à cet intérêt d'outre-Manche et c'est donc sans surprise que l'on peut lire dans Le Canigou du 5 juin 1880 la retranscription d'un article rédigé par une anglaise, livrant ses impressions pyrénéennes à ses compatriotes. Ayant séjourné à Amélie-les-Bains puis à Prades, on pourrait penser à première vue qu'elle a nettement préféré la sous-préfecture du Conflent et, surtout, son hôtel de résidence. Mais ce n'est en fait pas si simple...

Vieux papiers des Pyrénées-Orientales
Les allées Arago à Prades

Miss Bewly, une anglaise, vient de publier dans une revue de Londres, Goost-Words, un article sur nos Pyrénées, plein d'humour, de franchise et de joyeuseté. Cet article, vu sa longueur et le manque d'espace, nous oblige à ne prendre que la partie où l'auteur nous parle de Prades :

« Vers le milieu d'avril, les vents d'ouest sont insupportables à Amélie. Ils nous apportent une fournaise. Mon docteur me conseilla le séjour de Prades. Un chemin de traverse peut vous conduire d'Amélie à Prades ; je conseille cependant aux touristes qui ne sont pas très forts la voie de Perpignan.
« Prades est une charmante petite ville située dans une délicieuse vallée du côté nord du Canigou et non loin des contreforts qui forment sa base. De Prades l'on peut faire de très jolies excursions... Et puis, quelle chose imposante que de voir le Canigou recevant sur sa couronne de neige les derniers rayons d'un soleil couchant !
« L'une des plus grandes attractions de Prades, c'est l'hôtel January. Mlle J... est la perfection des hôtesses, et je crois qu'elle trouve le bonheur de sa vie dans le bien-être de ses convives. Elle cherche pour eux toutes les délicatesses, et sa sollicitude est toujours éveillée ; le gourmet le plus difficile est obligé d'avouer que tout est parfait.
« La bonne qualité du boeuf à Prades est incontestable ; il se fond dans la bouche comme un bonbon, - tandis qu'à Amélie il est presque toujours coriace.
« Les mots ne sauraient décrire Mlle J... et sa table d'hôte, ses déjeuners et ses diners. La chère demoiselle sert quelquefois ses convives elle-même. Elle tourne autour de la table en tourmentant ses lèvres, vous presse de manger du ton le plus insinuant, et vous dit d'un air irrésistible.
« - N'est-ce pas que c'est délicieux ?
« Et vous vous empressez de répondre :
« - Oui.
« Puis à un autre :
« - Tenez... ceci est très bon... je vous conseille d'en manger.
« Et avant que vous ayez eu le temps de répondre, le morceau tombe dans votre assiette. Quelquefois l'on vous sert des foies de poulets cuits avec des herbes odorantes, de superbes mayonnaises, ou bien quelque chose d'inconnu mais délicat avec un goût d'Ambroise.
« Les prix pour ces sortes de fêtes et les confortables chambres à coucher sont comme ceux d'Amélie très raisonnables. Si Mlle J... pouvait transporter son hôtel par dessus le Canigou et le placer à Palalda, ce lieu serait un petit paradis. » O.T.

Pourquoi Palalda ?


La dernière page du journal contient une publicité  pour des consultations à l'hôtel January les vendredis d'un dentiste américain au nom prédisposé : le docteur John Moeller ! Sans doute valait-il mieux le consulter, lui, plutôt que son concurrent présent à la foire de Prades à cette même époque et qui revendiquait le titre de champion des arracheurs de dent !

Vieux papiers des Pyrénées-Orientales


Note : Le temps m'a manqué pour faire plus de recherches à propos de ce délicieux hôtel January. Il est en tout cas déjà recommandé par le « Guide to the south of France and to the north of Italy » en 1873. N'hésitez pas à partager des informations en commentaire, si vous en avez !

Source article et publicité :
Le Canigou du 5 juin 1880 [domaine public] via le fonds numérisé de la bibliothèque de Perpignan.
Carte postale : Librairie Venant-Bergès (début 20ème siècle) [domaine public]


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lundi 9 mai 2016

Inégalité devant la mort à Perpignan en 1904

Un enterrement qui prend du temps

Vieux papiers des Pyrénées-Orientales
L'église Notre-Dame de la Réal
Un mort pauvre et divorcé éprouve des difficultés à se faire enterrer à Perpignan, ainsi que nous l'indique un article paru dans le journal républicain, anti-clérical et socialiste La Cravache du 24 juillet 1904.
Sa famille essuie d'abord un refus de la part du curé de Notre-Dame de la Réal, ce dernier ne souhaitant pas célébrer de messe pour le défunt, celui-ci ayant été divorcé puis remarié. Cette attitude est encore normale pour l'époque et le journaliste ne manque d'ailleurs pas de préciser que cet incident était prévisible. Cependant, l'incapacité de la famille à régler les frais d'enterrement auprès des Pompes funèbres retarde la cérémonie, et c'est bien l'attitude de ces dernières qui est brocardée dans cet article. La chaleur du mois de juillet aggrave les circonstances et finit par indisposer tout le quartier.

L'égalité devant la mort


Dernièrement, exactement mercredi dernier, mourrait un brave travailleur, nommé Bernadach que telle un coup de massue, une insolation abattait sur la terre qu'il arrosait de sa sueur.
Il fut transporté chez lui et, aussitôt des démarches furent faites, à tort selon nous, auprès de son Eminence, le curé de N.-D. la Réal pour l'inhumation religieuse.
La réponse du corbeau fut typique : « Nous connaissons M. Bernadach ; l'église ne prêtera pas son concours à la cérémonie, parce que le décédé est divorcé et remarié ! »
Disons en passant que ce fut bien fait pour la famille Bernadach ; elle n'avait qu'à ne pas solliciter le concours des flamidiens et cette réponse ne lui aurait pas été faite.
Nous croyons cependant que si Bernadach, au lieu d'être un pauvre hère, eût possédé des millions, le cas ne se serait pas produit, pas plus que n'aurait eu lieu le scandale qui éclata à l'arrivée des Pompes funèbres.
Les employés de cette administration se conduisirent, en la circonstance, comme des goujats.
Ils exigèrent, lorsqu'ils portèrent le cercueil, que le prix en fut réglé immédiatement ; et de crainte que la somme ne leur fut pas remise et pour s'éviter un surcroit de travail, la bière, pendant la transaction, fut laissée au milieu de la rue.
De plus, l'administration des Pompes funèbres, sous le prétexte qu'elle a le droit de réglementer les enterrements d'indigents, ne voulut inhumer le corps de Bernadach que vendredi dernier à 5 heures, soit près de deux jours et demi après le décès.
A l'heure où nous écrivons, nous ne savons si, devant les protestations indignées des voisins qui sont forcés de fuir leurs demeures, le bureau d'hygiène aura exigé de M. Cauvet un prompt enlèvement du corps.
Mais, en tout état de cause, que penser du sans-gêne des Pompes funèbres ?
Même devant la mort, l'égalité n'est qu'un vain mot.


R. S.


N.-B. - Nous apprenons qu'à la suite des démarches faites par les intéressés auprès du bureau d'hygiène et du commissaire de police, les obsèques de Bernadach ont eu lieu jeudi dernier à cinq heures du soir.
Cela ne détruit pourtant pas notre argumentation.


R. S.

Note : le terme de flamidien, utilisé dans cet article pour désigner péjorativement le personnel clérical, fait référence à l'« affaire Flamidien », datant de 1899 et dans laquelle un Frère du même nom et de l’école Notre-Dame de la Treille à Lille fut accusé d'avoir tué un jeune garçon dans un parloir. Relâché faute de preuves, cet épisode fut l'occasion d'une importante campagne de presse anti-cléricale.

Source : La Cravache : Organe républicain, anti-clérical et socialiste de Perpignan du 24 juillet 1904 [domaine public], via Gallica.
Photo : L'église Notre-Dame de la Réal, par Enfo [cc-by-sa], via Wikimedia Commons.


Pour rappel, cet autre article paru dans le même numéro de La Cravache
et qui se moque du maire de Perpignan et de son adjoint, à relire ici.



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