vendredi 20 mars 2015

Eclipse solaire de 1905 à Perpignan

Le 30 août 1905 a lieu une éclipse solaire totale, visible à Perpignan avec une occultation de 94% du soleil par la lune. En comparaison, l'éclipse totale du 20 mars 2015 ne couvre le soleil, depuis Perpignan, qu'à 71%. L'éclipse de 1905 était au maximum de sa visibilité dans le nord-est de l'Espagne et sur une partie du littoral du Maghreb. En Espagne, c'est dans la région de Valence, plus précisément dans la petite ville d'Alcalá de Chivert (Alcalá de Xivert en valencien), que choisirent de se réunir des scientifiques du monde entier.

Vieux papiers des Pyrénées-Orientales
Photo de l'éclipse du 30 août 1905

La République des Pyrénées-Orientales du 31 août 1905 nous donne le compte-rendu de l'événement tel qu'il a été vu depuis Perpignan


L'Eclipse d'hier

La nature est décidément capricieuse, et ceux de nos concitoyens qui stationnaient hier dans les rues de la ville, - ils étaient nombreux - ont pu aisément s'en convaincre.
Jusqu'à midi, le ciel était d'une pureté absolue. Quelques minutes avant le commencement de l'éclipse, le ciel s'est chargé de nuages épais, et ces nuages ne se sont dissipés qu'à deux heures, c'est à dire au moment des dernières phases du phénomène.
Vers une heure et demie cependant, c'est à dire au moment de l'occultation des 94 centièmes du soleil par la lune, de nombreuses éclaircies ont permis de braquer vers le ciel les lunettes d'approche et les verres fumés. Le soleil caché presque complètement n'envoyait plus que des rayons blafards.
Il est dommage que le temps couvert n'ait pas permis d'observer complètement les diverses phases du phénomène.
Mais on a rien perdu pour attendre. Ce sera pour la prochaine, voilà tout.

L'éclipse a bien sûr été observée depuis l'observatoire météorologique de Perpignan par son directeur M. O. Mengel qui constate notamment une chute de la température au moment de l'événement :
La température, à partir de 12h 15 m. varie d'une façon anormale : sous l'abri, à 3 mètres du sol, de 24°2 elle descend d'une façon continue à 20°5, qu'elle atteint à 13h 40 m., soit une baisse de 3°7. Au sol, de 40° qu'elle était à 12h 15 m., elle tombe à 19°5, également à 13 h 40 m. : d'où un écart de 20°5.

Sources :

Article de la République des Pyrénées-Orientales : Fonds numérisé de la bibliothèque de Perpignan.
L'éclipse depuis l'Espagne et ailleurs : Le Figaro du 31 août 1905, via Gallica.
Observatoire de Perpignan : Soleil - L'éclipse totale de-du 30 août 1905, Ciel et Terre, Vol. 26, 1905, p. 489

Photo : Auteur inconnu, domaine public.



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mardi 17 mars 2015

Le voyage sans A de Jacques Arago

Jacques Arago (1790-1854) est l'un des frères Arago (avec François, mais aussi Jean et Étienne), connu en son temps à la fois comme auteur dramatique et explorateur. Après ses voyages de jeunesse effectués autour de la Méditerranée, il embarque en 1817 comme dessinateur pour un tour du monde à bord de l'Uranie. De retour en 1820 après moult péripéties, il en tire un ouvrage au succès considérable et intitulé d'abord Promenade autour du monde puis Voyage autour du monde fait par ordre du Roi sur les corvettes de S. M. l'Uranie et la Physicienne. Profitant de cette popularité, Jacques Arago fait paraître tout au long de sa vie de multiples versions de cet ouvrage avec des titres divers, dont une des plus célèbres est Souvenirs d'un aveugle, du fait de la cécité dont il souffre à partir de 1837, ne l'empêchant nullement cependant de continuer à voyager à travers le monde, de la Californie à la Nouvelle-Calédonie et encore au Brésil.

Vieux papiers des Pyrénées-Orientales
Jacques Arago (vers 1839)

La version qui nous intéresse serait née de la conversation d'une demoiselle voisine de table d'Arago dans un dîner mondain et le mettant au défi de refaire le récit de ses souvenirs de voyage, mais sans la lettre A. Défi que s'empresse de relever l'auteur dans un texte écrit en huit jours, de quelques pages seulement toutefois, et paru en  1853 sous le titre Voyage autour du monde, sans la lettre A. Il s'agit donc d'un lipogramme, un texte à qui il manque une lettre. Ce procédé stylistique existe depuis l'antiquité et trouvera plus tard son plus grand succès avec La Disparition (1969) de Georges Perec.

L'ouvrage de Jacques Arago est logiquement adressé à la dite demoiselle, laquelle lui répondra elle-même par une lettre sensée (sans C). Les premières lignes de l'ouvrage rappellent l'origine du défi :

Chère bonne, vous êtes bien impérieuse, bien despote, comment voulez-vous qu'une plume docile inscrive ici, sur votre ordre, un récit fidèle des vicissitudes de nos courses, puisque je dois subir le frein qui m'est si cruellement imposé ? Que désire le coursier numide ? Les brumeux horizons, les steppes et le désert : prêtez-moi donc plus de liberté, si vous voulez que je n'oublie rien des périlleuses difficultés de cette route si longue et si rude qu'on nous prescrit de sillonner.

Voyons a présent quelques brefs extraits du récit lui-même. Ceux-ci ne sont qu'une incitation à lire la version intégrale, disponible sur  mediterranees.net, effort qui mérite d'être fait pour l'originalité du texte et, ce, d'autant que le récit lui-même est assez court.

Jacques Arago rappelle dans les premiers paragraphes ses origines et sa cécité. Le bourg pyrénéen de sa naissance est Estagel, patrie roussillonnaise de l'ensemble de la famille Arago.

Et puisqu'il est ici question de requin... Un jour, lorsque mollement étendu sur quelque dune silencieuse, vous verrez sur le flot moutonneux poindre le dos brun et lisse d'un de ces hideux écumeurs de mer, inclinez-vous, priez et dites-vous tristement : c'est le cercueil d'un fou qui n'eût point dû quitter son bourg pyrénéen, lui qui, depuis quinze hivers, ne voit plus ni le soleil ni un sourire de frère.

L'expédition passe tout d'abord par les Canaries.

Ténériffe est une île sortie des flots depuis bien des siècles ; elle est célèbre et semble fière de son superbe pic, cône terrible sur le sommet duquel vous voyez en même temps l'hiver et ses neiges, de fougueuses colonnes de fumée et de feux qui engloutiront un jour les villes, les bourgs et les riches vignobles dont s'enorgueillissent les citoyens les moins cosmopolites du monde et les brunes fillettes de Ste-Croix que je vous défie bien d'éviter, si vous étudiez leur prunelle noire, si vous écoutez le soir, vers le crépuscule, leur musique monotone et endormie.

Puis viennent le Brésil et l'Uruguay.

Oh ! oh ! que nous disent les lunettes ? Que nous dit le point ? Que le deuxième tropique nous domine, le voici : Rio et le Brésil sont sur notre droite ; plus loin, le fleuve immense où Montevideo dresse ses clochers pointus, ses églises splendides, ses rues si droites, et nous présente son port si peu protecteur de nos intérêts et de notre gloire.

Après le cap Horn, viennent les îles Chiloé au large du Chili.

Voici les Chiloé ; courez vite. Les flots tourbillonnent trop violents sur les rochers d'huîtres qui emprisonnent ce groupe d'îles où pèsent d'immenses forêts, éternelle fortune des indolents citoyens du Chili, leurs voisins.

Après le Pérou, la traversée de l'océan Pacifique et ses îles, c'est l'Indonésie, à travers l'archipel des Moluques puis Bornéo.

Voici Bornéo, cette île mystérieuse, immense comme un continent, qui réveille tous nos souvenirs historiques. Comment y pénétrer, comment fouiller ces éternelles solitudes que le tonnerre seul visite, que les plus intrépides n'osent point interroger, et dont les typhons éloignent les corvettes et les bricks les mieux construits pour les courses périlleuses ?

Ce sont ensuite les Célèbes, les Fidji, les îles Marquises puis Tahiti dont il ne peut écrire le nom :
(...) on voit bientôt poindre cette île fortunée, que Cook découvrit, qu'on nomme encore nouvelle Cythère (...)
Notons que Cook n'est ni le découvreur de l'île ni l'auteur du nom, mais sans doute le seul dont Arago puisse écrire le nom, les explorateurs Wallis et Bougainville étant proscrits dans ce lipogramme.

J'invite les lecteurs de cet article à se reporter au texte intégral pour y découvrir toutes les étapes de ce fabuleux voyage. Voyons pour finir la déclaration d'amour de Jacques Arago pour le Brésil, pays où il s'est rendu plusieurs fois et où il souhaite être enterré.

On ne quitte plus le Brésil, si l'on s'est promené une fois sous les dômes de verdure qui protègent le sol contre les flèches rigides d'un soleil de plomb. (...) Vive le Brésil où je veux qu'on me creuse une tombe !

Le lieu est choisi pour mon repos éternel, tout près du couvent de Ste-Thérèse où rossignolent de jeunes vierges dont le coeur vibre, moins pour Dieu qu'elles ne voient point, que pour les hommes dont elles étudient les silhouettes promeneuses sur les murs du cloître béni !

Soyez hors d'inquiétude ; mon front est découronné, mes pieds n'ont plus de vigueur, et vous ne devez rien redouter de moi qui, pour vous obéir, ne puis même signer mon nom que comme je l'inscris ici.

J.CQUES .R.GO.

Jacques Arago retourne au Brésil en 1854 espérant y obtenir la direction du théâtre impérial de San Pedro et y meurt le 27 novembre de la même année, permettant à son voeu d'être exaucé.

Sources :
Texte : mediterranees.net
Eléments biographiques :
* Jean Capeille, « Arago (Jacques) », dans Dictionnaire de biographies roussillonnaises, Perpignan,‎ 1914
* François Sarda, Les Arago : François et les autres, Tallandier,‎ 2002
Image :
Portrait de Jacques Arago : Alexandre-Vincent Sixdeniers (1795-1846) via Wikimedia Commons, domaine public


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