samedi 30 juillet 2016

Un maire de Prades contre l'onanisme

Les bons conseils du sieur Pradel

Dans le numéro du 20 juillet 1879 du journal républicain et anticlérical La Farandole, son rédacteur en chef Justin Alavaill se fend d'une charge contre la municipalité de Prades et en particulier contre son nouveau maire, Xavier Pradel. Il le qualifie de « clérical endiablé » et l'accuse d'être un faux républicain faisant « le jeu des réactionnaires » ayant de surcroît essayé de se « faire proclamer maire inamovible », avant d'être rappelé à l'ordre par le sous-préfet de Prades. Il note également qu'avant d'être maire, Xavier Pradel cherchait constamment à faire parler de lui en écrivant sur tout dans les journaux.

Malgré ce portrait peu glorieux, on peut dire cependant que Xavier Pradel sera le premier maire stable de Prades depuis des années puisqu'il demeure en fonction jusqu'en 1885, alors que durant la période 1870-1879 la ville avait auparavant connu neuf maires successifs.

Vieux papiers des Pyrénées-Orientales
Prades au début du 20ème siècle

Mais Justin Alavaill fait également un autre commentaire sur Xavier Pradel, officier de santé (qualifié localement de médecin mais sans le titre de docteur) avant d'être maire, et qui n'a pas manqué d'attirer mon attention :
« Il a déjà publié, tout seul, un ouvrage que je confesse n'avoir pas lu : Amour et Onanisme. Ce titre croustillant m'a suffit pour avoir du publiciste l'idée exacte de ses hauts mérites. »

En effet, Xavier Pradel publie en 1876 chez un éditeur parisien un petit ouvrage de 43 pages intitulé Quelques considérations sur l'hygiène de la jeunesse : amour et onanisme. Il y aborde les méfaits de l'amour en général puis poursuit avec ceux de l'onanisme en particulier. Il conclue en proposant quelques solutions pour empêcher tout comportement pervers chez les jeunes hommes et jeunes femmes qui se seraient égarés.

J'en ai sélectionné quelques passages. On y retrouve le discours et les pratiques habituels de l'époque, si choquant de notre point vue actuel, et dont on oublie parfois que le changement des mentalités sur un sujet aussi tabou que la masturbation n'est en fait que relativement récent.


Vieux papiers des Pyrénées-Orientales

Lorsque vous voyez un individu atteint d'une extrême maigreur, qu'il est pâle, engourdi, stupide, se plaignant d'une grande faiblesse dans les cuisses et les lombes, paresseux dans ses actions, cacochyme, ayant les yeux enfoncés, attribuez sans crainte la cause de ce dépérissement à l'onanisme. (p. 15)

La lecture des romans devient une autre circonstance, non moins funeste, qui hâte la corruption des moeurs chez les jeunes filles et qui aujourd'hui est une des causes les plus actives de leur dépravation. (p. 19)

On trouve chez le masturbateur moins un être vivant qu'un cadavre gisant sur la paille, maigre, pâle, sale, répandant une odeur infecte. Il perd souvent par le nez un sang décoloré, aqueux, une bave sort continuellement de sa bouche. (...) Il est au-dessous de la brute, et l'on a peine à concevoir que ce malheureux appartienne à l'espèce humaine. (p. 22)

Si vous avez une domestique ou une nourrice, surveillez-là, vous éloignerez ainsi la première cause, car souvent, pour éviter des tracas, elles n'hésitent pas à frotter ou à chatouiller les parties sexuelles des enfants, afin de les faire dormir. (p. 31)

Vieux papiers des Pyrénées-Orientales
Appareils contre l'onanisme du 19ème siècle

Ce que je dis de l'habitude de rester trop longtemps assis m'amène à un autre ordre d'idées, mais dans un autre âge. Je veux parler des demoiselles qui s'appliquent à coudre avec la machine à pédale.
Ce travail amène, par de longues séances, non seulement la stase sanguine dans les parties inférieures, mais encore ce mouvement de la pédale produit un frottement dont les parties sexuelles peuvent se ressentir. (p. 32)

Enfin, lorsque tout a échoué, quand le raisonnement, les conseils, les menaces, les appareils sont insuffisants, il ne reste qu'à pratiquer une opération : c'est l'infibulation chez les garçons, opération par laquelle on perfore le prépuce de deux trous en regard dans lesquels on fait passer un anneau ou un fil d'or ou d'argent ; chez la femme on a recours à l'extirpation du clitoris. (p. 37)

(L'intégralité du texte est disponible pour les curieux en suivant le lien en bas de la page.)

Notons que quelques années plus tard, alors qu'il est maire de Prades, Xavier Pradel sera l'un des témoins à charge de l'affaire du curé de Nohèdes qui éclate en 1881. Ce dernier, accusé d'avoir empoisonné deux soeurs très pieuses dont il héritait tous les biens tout en entretenant une histoire d'amour passionnelle avec l'institutrice du village, sera condamné aux travaux forcés. Le témoignage de Pradel contribuera à insister sur le caractère supposément perverti du jeune curé.

Sources
* La Farandole (Perpignan) du 20 juillet 1879 [domaine public] via le fonds numérisé de la Médiathèque de Perpignan
* Xavier Pradel (1876), Quelques considérations sur l'hygiène de la jeunesse : amour et onanisme, Paris, imprimerie de J. Dejey. [domaine public] [lire en ligne sur Gallica]
* Liste des maires depuis 1790, sur le site de la mairie de Prades

Illustrations 
* Carte postale : Place de la République et place Saint-Pierre à Prades, éditions Venant-Bergès (Prades) [domaine public] 
* Couverture du livre Amour et onanisme par Xavier Pradel, imprimerie de J. Dejey (1876) [domaine public]
* Appareils anti-onanisme : illustration anonyme du 19ème siècle [domaine public]

Les autres articles de ce blog concernant la médecine sont ici 
et ceux à propos de Prades .


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samedi 23 juillet 2016

Danse des mulets à Serralongue en 1881

Contrepas, Marseillaise, saint Éloi et mulets

Vieux papiers des Pyrénées-Orientales
Saint Éloi en maréchal-ferrant
Tout le monde connait le bon saint Éloi, évêque du septième siècle, orfèvre et monnayeur, ne serait-ce que par la chanson parodique du Bon Roi Dagobert. Patron de nombreuses confréries, il l'est notamment pour tous les métiers liés à la métallurgie et notamment celui de maréchal-ferrant. C'est donc logiquement que l'on trouve diverses célébrations reliant saint Éloi à l'univers des chevaux. Dans nos contrées, il est d'ailleurs encore d'usage de bénir les mules, jadis très présentes et indispensables dans les montagnes, ainsi que cela se pratique encore par exemple chaque année à Arles-sur-Tech, autour du 25 juin. Cette date correspond à la translation d'une de ses reliques vers la cathédrale Notre-Dame de Paris en 1212, tandis que sa fête officielle a lieu le premier décembre.

Le courrier que nous transmet le journal Le Patriote des Pyrénées-Orientales du 3 juillet 1881 est celui d'un lecteur indigné par ce qu'il a vu à Serralongue, en Haut Vallespir, à l'occasion de la fête de la saint Éloi. On y aurait fait danser le contrepas à des mulets sur un air de Marseillaise ! L'effet obtenu ne pouvait alors être que totalement grotesque (selon ses dires).

On nous écrit de Saint-Laurent-de-Cerdans, le 28 juin 1881 :

Monsieur le Rédacteur du Patriote

Rien de plus curieux et de plus burlesque que la danse des mulets à Serralongue !
Quoi de plus grotesque que de voir ces lourds quadrupèdes danser un contrepas, sur la place publique, au son d'instruments !
Et cela se voit, chaque année, à Serralongue.
Le lendemain de la Saint-Jean, les voituriers de ce village célèbrent la fête de Saint-Eloi, et les mulets prennent part aussi, à leur façon, à cette réjouissance.
Vers les neuf heures du matin, les voituriers, montés sur leurs bêtes, se rendent à la porte de l'église, où le curé bénit les quadrupèdes.
Puis, bêtes et cavaliers vont sur la place publique, au son de la Marseillaise, et c'est alors qu'à lieu cette fameuse danse, qu'on appelle le contrepas des mulets.
Mais quel contrepas, grand Dieu ! Figurez-vous d'énormes quadrupèdes, éreintés de trainer chaque jour la charette, qu'on oblige stupidement à imiter les chevaux de cirque et de manège.
C'est inouï de grotesque !
Cependant, parfois, le comique s'y mêle, surtout lorsque quelque cavalier et sa monture prennent un billet de parterre aux grands éclats de rire de la galerie.
Après la danse, on se rend sur la grand route, où s'exécute un semblant de course, mais les jambes des coureurs refusent de fournir le galop, et tout est fini.
Telle est la danse des mulets à Serralongue.
Recevez, etc.

Un de vos lecteurs.

Vieux papiers des Pyrénées-Orientales
L'église Sainte-Marie de Serralongue

Note 1 : J'ai épluché la presse des semaines suivantes afin de trouver une réponse à ce courrier, mais personne ne semble contester cette histoire. Voit-on encore des mulets danser sur La Marseillaise à Serralongue de nos jours ?

Note 2 : La Marseillaise n'est définitivement devenue l'hymne national qu'en 1879, soit seulement depuis deux ans lorsque cet épisode est relaté concernant son usage inattendu en Vallespir.

Source : Le Patriote des Pyrénées-Orientales du 3 juillet 1881 [domaine public] via le fonds numérisé de la Médiathèque de Perpignan.
Photos :
Représentation de saint Éloi ferrant un cheval à Plouzévédé (29) par GO69 [cc-by-sa] via WikimediaCommons.
Eglise de Serralongue par Palauenc05 [cc-by-sa] via WikimediaCommons.


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jeudi 14 juillet 2016

Un chien en cure à Amélie-les-Bains en 1877

Eaux minérales et instinct animal


Nos amies les bêtes nous étonneront toujours.
Après le cas relaté précédemment du chien du curé d'Angoustrine qui connaissait parfaitement le déroulement de la messe, nous pouvons lire, dans Le Réveil des Pyrénées du 10 novembre 1877, le fait, cette fois-ci, d'un chien malade à Amélie-les-Bains et qui semblait avoir compris tout le bénéfice qu'il pouvait tirer d'une certaine source d'eau minérale pour soulager l'objet de sa souffrance.

Vieux papiers des Pyrénées-Orientales
L'établissement thermal Pujade à Amélie-les-Bains

L'esprit des bêtes

Amélie-les-Bains possède, entr'autres sources minérales, une fontaine dont l'eau a la propriété de guérir certaines maladies cutanées. Cette source se trouve située à un kilomètre environ du village et dans un lieu très retiré.
Pendant le séjour que nous fîmes dans cette localité, le bruit public nous apprit qu'un chien dogue, qui était atteint d'une maladie de la peau, allait, de son propre mouvement, boire tous les matins de cette eau.
Les exigences de notre profession ne nous permirent jamais de vérifier ce fait, qui était, cependant, de notoriété publique, et qui nous fut confirmé par les personnes sur la foi desquelles nous pouvions avoir toute confiance.
Ainsi, voilà un animal, un être inférieur dans l'ordre de la création, qui, sans autre guide que son instinct, a su discerner, parmi les diverses eaux curatives que possède Amélie-les-Bains, celle qui était propre à combattre le mal dont il était affecté, et qui avait la constance de faire tous les jours, à heure fixe, un kilomètre dans la montagne pour suivre exactement son traitement !
Combien plus grand serait notre savoir si notre intelligence ne faussait pas nos instincts.

Amable Castillet


Les sources aux propriétés thérapeutiques sont nombreuses à Amélie-les-Bains. Il est donc dommage que l'article ne précise pas de quelle fontaine il s'agit. De nos jours, une quinzaine de sources sont captées et exploitées, mais de nombreuses autres ne le sont pas, soit du fait de leur débit insuffisant ou irrégulier, de la composition chimique de leurs eaux (plus ou moins intéressante), de leur température, ou tout simplement du fait de leur isolement. Celle dont-il s'agit ici semble être à la fois isolée et non exploitée. Peut-être un habitant de la région pourra-t-il nous renseigner sur la localisation de cette source ?

Source : Le Réveil des Pyrénées du 10 novembre 1877 (daté par erreur au 9 novembre 1877) (via le fonds numérise de la Médiathèque de Perpignan) [domaine public]
Photo : Etablissement Pujade, Amélie-les-Bains (date inconnue, fin XIXe, début XXe s.) par Eugène Trutat (1840-1910) (via le Fonds Trutat de la Bibliothèque municipale de Toulouse sur le site Rosalis) [domaine public]


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