lundi 27 avril 2015

La plus belle merveille du Roussillon en 1821

Antoine Ignace Melling vers 1830
Ainsi que nous avons pu le voir précédemment, Joseph Antoine Cervini et Antoine Ignace Melling sont envoyés par l'Etat français pour parcourir les Pyrénées d'ouest en est en 1821. Après leur première étape en route vers les Pyrénées-Orientales qui les a conduit de Quillan à Caudiès-de-Fenouillèdes, nos deux voyageurs poursuivent leur périple en se rendant à Saint-Paul-de-Fenouillet. Guidés par leur aubergiste, un certain monsieur Baille, ils entreprennent la visite de l'ermitage de Saint-Antoine-de-Galamus. Le site les impressionne au point d'être qualifié de « plus belle merveille du Roussillon ». Encore une fois, le récit est un peu long mais mérite d'être lu jusqu'au bout pour les nombreux détails qu'il donne, à la fois à propos du site et de la vie des habitants à l'époque.

À notre arrivée à Saint-Paul-de-Fenouillet, le premier soin qui nous occupa fut d'aller visiter l'Ermitage de Saint-Antoine de Galamus. Nous dirigeant au Nord-Ouest de cette ville, nous atteignîmes bientôt le pied d'une petite montagne ; mais pour arriver à l'entrée du désert il nous fallut monter par un soleil brûlant et pendant une marche de trois-quarts d'heure. Nous parvînmes ainsi devant la belle grille qui ferme l'étroit passage pratiqué entre un rocher à pic et un précipice dont le fond est sillonné par l'Agly. Ici notre guide, qui n'était autre que l'aubergiste Baille chez lequel nous étions descendus, fit usage d'une des deux grosses clefs dont il s'était muni, et nous entrâmes dans l'enceinte du désert. Un joli sentier, tracé en pente douce sur le revers septentrional de la montagne, nous conduisit en un quart d'heure à l'endroit d'où nous vîmes, en échappée, le site représenté dans la gravure qui suit. Après avoir contemplé le bel effet de ce point de vue et nous être proposé de le dessiner de cette position, si en avançant nous n'en trouvions pas une autre plus avantageuse, nous poursuivîmes notre descente vers le bas du petit bassin qu'entourent de hauts rochers la plupart nus, escarpés, inabordables, d'autres couverts d'arbres de toute espèce et d'une grande beauté. Le chemin que l'on suit est frayé sur le coteau le plus riche en végétation vigoureuse ; il serpente à travers un bois de chênes-verts, d'alaternes, de myrtes, de lauriers francs, d'arbousiers, de laurier-thym, de buis d'une grande taille et de plusieurs espèces de genévriers. Nous le parcourons avec délices, et nous arrivons ainsi sur les terrasses soutenues par des murs en maçonnerie qui précèdent l'Ermitage, et qu'à notre grande surprise nous trouvons ornées de magnifiques fleurs cultivées. Mais avant de nous diriger vers la chapelle, deux objets intéressants appellent un instant notre attention. Nous voulons contempler ce roc isolé que l'on dirait taillé et placé par la main des hommes, et qui s'élève comme une pyramide colossale auprès de la plus magnifique cascade. Nous visitons ensuite la grotte qui se montre à proximité et que nous trouvons remplie de stalactites offrant des formes et des figures de tout genre et de toutes couleurs. Cependant l'Ermitage et la chapelle nous attirent à leur tour, et nous en approchons en montant un escalier de vingt-cinq marches. C'est alors que notre aubergiste fit usage de sa seconde clef et qu'il s'enorgueillit avec raison d'offrir à nos yeux la plus belle merveille du Roussillon. Nous franchissons une porte et nous voyons dans son ensemble une vaste excavation, voûtée en ogive gothique. Rien ne peut égaler l'étonnement qu'on éprouve à l'aspect de cette grotte percée, taillée des mains de la nature et disposée de manière à représenter une église spacieuse, profonde et régulièrement ordonnée. Le rocher de la voûte, en s'abaissant graduellement, forme le fond du sanctuaire, comme en descendant des deux côtés de droite et de gauche il constitue les parois latérales du temple. Ces parois sont tapissées de stalactites qui figurent de longs pilastres, des colonnes minces et effilées, et des troncs d'arbres avec leurs rameaux ; sur quelques-uns des pans des murailles elles paraissent tracer des figures humaines en bas-reliefs. Le travail de l'homme ne se montre que dans le mur bâti à l'entrée de la grotte et dans les autels en marbre, l'un au fond, l'autre à gauche, tous deux également surmontés des statues de Saint-Antoine. Cette église n'est éclairée que par le pertuis qu'on a laissé au-dessus de l'arceau en maçonnerie qui termine le mur extérieur, et par conséquent le jour y est sombre, mystérieux et tel qu'il convient à des édifices religieux.


L'ermitage Saint-Antoine de Galamus vu par Melling en 1821


Nous sortîmes de ce curieux monument, et pour visiter la demeure simple, commode, mais déserte et abandonnée de l'Ermite, nous passâmes devant la fameuse cloche, jadis tant renommée, et dont la tradition exalte les effets miraculeux. Notre complaisant guide se plut à nous répéter tout ce qu'on en raconte, et nous assura d'un air très-sérieux que « plus efficace contre la stérilité des femmes que toutes les sources thermales des Pyrénées, il suffisait de toucher la corde de cette cloche pour devenir mère ». Après avoir pénétré dans une autre petite excavation naturelle où conduit un escalier placé au coin de la cour de l'Ermitage et nous vîmes suinter de la voûte cette eau claire et limpide dont le pieux anachorète se désaltérait, nous revînmes sur nos pas pour nous installer au point de vue que nus avions remarqué avant d'atteindre le fond du vallon. Notre dessin terminé, nous reprîmes le chemin de Saint-Paul.

Cet Ermitage n'étant plus visité aujourd'hui qu'à la fête du saint dont il porte le nom, se ressent de l'état d'abandon où il est livré depuis que l'Ermite l'a quitté. Cependant, aux temps même de troubles et d'agitation encore près de nous, son isolement le préserva de toute dévastation. La hache respecta aussi jusqu'en 1817 les arbres qui le couvraient de leur ombrage ; mais à cette époque quelques habitants de Saint-Paul portèrent sur ces arbres antiques leurs mains impitoyables, et ce lieu perdit son plus bel ornement. Un buis, dont l'espèce ne donne généralement en France que de frêles et modestes arbrisseaux, élevait ici à plus de 60 pieds sa taille majestueuse. Ce phénomène, ce géant du désert, périt victime des dévastateurs, et la barbarie détruisit en un jour ce que la nature avait mis des siècles à former !

Note : Comme la plupart des ermitages en France, celui de Saint-Antoine de Galamus a été fermé à la Révolution française, quoi qu'un gardien soit resté quelques années pour assurer la sécurité du lieu. Mais lorsque Cervini et Melling y passent en 1821, le lieu est bien vide, et il faut attendre 1843 pour qu'un frère franciscain revienne s'y installer et le remettre en fonction.

Source : Rosalis (Bib. num. de Toulouse)

Portrait d'Antoine Ignace Melling : Pierre Roch Vigneron vers 1830 (domaine public, via Wikimedia Commons)
Vue de l'ermitage Saint-Antoine de Galamus : Antoine Ignace Melling (1763-1831) (domaine public, via Wikimedia Commons)


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samedi 18 avril 2015

Un loup abattu à Vinça en 1933

Vue générale de Vinça de nos jours
Nous avons pu voir précédemment les dégâts (réels ou supposés) causés par les loups en Cerdagne en 1864. Ces animaux disparaissent ensuite du département et ne sont aperçus qu'épisodiquement. On peut lire à ce propos dans le journal L'Humanité du 3 janvier 1933, en plein hiver, le récit d'un loup tué à Sahorle, hameau de Vinça, en Conflent. Il y a à l'époque un peu plus de 1500 habitants à Vinça.



Un loup est abattu dans les Pyrénées-Orientales

Perpignan, 2 janvier.
On a tué, au hameau de Sahorle, près de Vinça, un gros loup qui ravageait les troupeaux depuis quelques temps. Il y avait plus de vingt-cinq ans qu'on n'avait pas vu de loup dans le département.

Si l'on en croit l'auteur de cette dépêche, les loups ont disparu des Pyrénées-Orientales avant 1908, au moins. Cette information est probable car il ne reste sans doute qu'à peu près 500 loups sur tout le territoire français en 1900. Les derniers loups français sont tués à la fin des années 30.

Source : Gallica (cf. lien)
Photo : Meria z Geoian (via Wikimedia Commons, CC-BY-SA)


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samedi 4 avril 2015

Le zélé curé de Prugnanes 1901-1907

Les conflits entre maire et curé sont un classique de nos villages d'antan, ainsi que nous avons déjà pu le voir à Pollestres en 1881, à Dorres en 1892 et à Las Illas en 1907.  Le petit village de Prugnanes, dans le Fenouillèdes, ne fait pas exception à la règle. Après avoir atteint un peu plus de 200 habitants au XIXe siècle, le village se dépeuple progressivement et compte 165 habitant en 1901 et 157 en 1906 (102 en 2012). L'église paroissiale, dédiée à Saint-Martin, existe depuis le Moyen Âge mais fut reconstruite au XVIIe siècle.

Mais revenons au curé de Prugnanes, qui se fait déjà remarquer dans la presse nationale en 1901, en tant que sujet de moquerie dans L'Aurore du 8 décembre 1901.

 Il y avait quelque temps que nous n'avions entendu parler de l'église ou de la chapelle qui menace ruine, et pour la réparation de laquelle un desservant désespéré tend une aumônière qui ressemble au tonneau des Danaïdes. La voici. Un de nos lecteurs nous envoie la circulaire par laquelle le curé de Prugnanes sollicite les âmes généreuses en faveur de son église « dont la voûte est tombée depuis longtemps ». Même il complète le tableau par quelques mots bien sentis sur la sacristie, «  inondée à la moindre pluie », sur les ornements qui sont « dans un état pitoyable », et sur les chaises « qui ne tiennent pas debout ».
La commune, dont la population s'élève à 180 habitants, lui a donné une subvention de 1,000 francs, ce qui a dû fortement écorner le budget d'un petit trou pas riche dons nous ne froisserons pas la vanité en disant qu'il ne dispose pas tout à fait des mêmes ressources que Paris ; l'Etat lui a accordé un secours de 300 francs et ses paroissiens lui ont donné plus de 500 francs. Enfin l'Evêque de Perpignan lui a accordé les reliques de la Vraie Croix et de Saint-Martin, et on lui offre une statue de la Vierge.
Mais le curé de Prugnanes est insatiable. Il lui faut des reliquaires pour ses reliques, il lui faut payer le port de sa statue ; « il lui faut des ornements convenables, et il n'a pas même de crucifix dans l'église ».
Aussi est-il prêt à recevoir la moindre obole avec reconnaissance. « Un franc, cinquante centimes ou même un simple timbre (sic) sont à la portée de toutes les âmes zélées pour la gloire de Dieu ». Mais si le cœur vous en dit, vous êtes libres d'envoyer 10 francs, ce qui vous donnera droit à dix messes. Allons ! allons ! âmes pieuses, un peu de courage à la poche !

Une brève parue dans le journal La Croix du 26 avril 1905 nous révèle le nom du curé :

Nos amis défunts
Mme Anne Tourné de Massota, mère de M. le curé de Prugnanes (Pyrénées-Orientales), dont la Semaine religieuse de Perpignan relate avec de grands éloges les touchantes funérailles.

Les années 1905 à 1907 sont particulièrement propices aux conflits, entre la Loi de séparation des Églises et de l'État de 1905 et la querelle des inventaires qui suit en 1906, le tout étant la cause d'une certaine tension permanente entre religieux et laïcs. Le maire de Prugnanes semble à cette période avoir une dent contre le curé, ainsi que le révèle le journal Le Temps du 22 juin 1906. Ce dernier n'a toutefois pas l'air d'être d'un caractère facile.

Perpignan, 21 juin

Ce matin, comparaissait devant le tribunal correctionnel de Perpignan le curé de Prugnanes, accusé d'avoir injurié, dans une lettre adressée au procureur de la République, le maire de la commune, qui avait refusé de lui signer une demande d'allocation.
Le curé, qui était poursuivi également pour avoir injurié en chaire le président de la République, à été condamné à quinze jours de prison, avec sursis.
Il a été relaxé.

Malgré ce conflit, le curé recevra rapidement son allocation, ainsi que le prouve le Journal officiel du 24 juillet 1906, citant l'arrêté du 23 juillet 1906 approuvant l'attribution d'allocations durant huit ans à une liste de ministres des cultes dans laquelle il figure, avec cinq autres curés du département :

Monet, desservant à Urbanya (Pyrénées-Orientales)
Puy, desservant à Matemale (Pyrénées-Orientales)
Respaut, desservant à Campome (Pyrénées-Orientales)
Salvadou, desservant à Conat (Pyrénées-Orientales)
Sol, desservant à Trévillach (Pyrénées-Orientales)
Tourné, desservant à Prugnanes (Pyrénées-Orientales)

La tension ne semble cependant pas être retombée l'année suivante, ainsi que nous l'indique encore le journal Le Temps du 23 janvier 1907, puisque l'on finit même par se battre dans l'église Saint-Martin, un jour d'enterrement de surcroît.

A Prugnanes (arrondissement de Perpignan) de graves incidents se sont produits à l'occasion des obsèques d'une dame. Au moment où le cortège allait entrer dans l'église, l'abbé Tourné, curé de Prugnanes, s'avança sur la porte et interdit au cortège l'accès de l'église. Le maire donne aussitôt l'ordre de laisser pénétrer dans l'église et comme l'abbé Tourné protestait, le maire passa outre, assisté du garde-champêtre et ayant à sa suite la majeure partie du cortège pénètre dans l'église. Le curé s'élève alors contre les violences dont, dit-il, il vient d'être l'objet. Des assistants ripostent. Les parents de la défunte se mêlent à la discussion. C'est une mêlée générale ; des coups sont échangés. Finalement, les assistants prennent le parti de chanter eux-mêmes la messe.

C'est la dernière fois que la presse nationale mentionne le curé Tourné, de Prugnanes. Notons que le maire et son conseil municipal démissionnent en bloc quelques mois plus tard, à l'occasion de la crise viticole et comme cela s'est fait également dans de nombreuses autres communes de la région. Voyons par exemple la brève parue dans le journal Le Rappel du 19 juin 1907.

La crise viticole

Perpignan, 17 juin
Le conseil municipal de Prugnanes a adressé sa démission au préfet, en lui donnant l'assurance de ses sentiments républicains.

Retrouvez ici tous les articles de ce blog en rapport avec les Fenouillèdes et toutes les histoires impliquant des curés !

Sources : Gallica (cf. liens)
Carte : Openstreetmap, via Wikicommons (CC-BY-SA)
Note : Prugnanes fait partie des 9 communes des Pyrénées-Orientales sur Wikipédia dont l'article n'a aucune photo et je n'ai trouvé ailleurs sur le Web aucune image libre de réutilisation concernant le village ou son église. Je pense que je vais devoir aller y faire un tour !

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