Un garçon coiffeur de Céret très étonnant
Le philosophe et médium Émile Boirac (1851-1917) publie dans L'avenir des sciences psychiques (éditions Alcan) en 1917 le témoignage de Jean B., instituteur à Perpignan et qui se rappelle l'époque où il était en poste à Céret. Il semble que l'un des garçons coiffeurs de l'époque ait eu des dons extraordinaires de vue extra-lucide. Peut-être certains de mes lecteurs arriveront-ils à identifier précisément les lieux et les personnes cités ? Les prénoms et les initiales véritables ont été conservés, d'après l'auteur, et le salon de coiffure était situé rue Saint-Ferréol.
Émile Boirac |
Note : J'ai remonté les notes de bas-de-page pour une meilleure compréhension du texte.
» Au mois d'août 1892, j'étais alors instituteur à Céret, un hypnotiseur de passage donna une séance d'hypnotisme dans un café de cette ville. Un jeune homme de 18 ans, Raymond S. employé chez M. Antoine R. coiffeur, de qui j'étais le client, fut pris comme sujet par l'expérimentateur.
» Quelques jours après, étant allé me faire raser, la conversation roula sur les expériences auxquelles S. s'était prêté. Il me proposa de l'endormir. Nous étions seuls, son patron accomplissait en ce moment une période militaire de treize jours à Perpignan. Je me prêtai donc à son désir et j'eus la satisfaction de réussir, satisfaction d'autant plus vive que c'était la première fois que je me livrais à cet essai. Le jeune S. était d'ailleurs un sujet merveilleux, d'une sensibilité et d'une suggestibilité extrêmes. Je n'eus pas de peine à répéter avec lui toutes les expériences que j'avais vu faire à l'hypnotiseur de profession.
» Je vins alors, très souvent, au salon de coiffure de M. R. car je me passionnai pour ces expériences. L'idée d'essayer la seconde vue, dont j'avais lu des relations qui m'avaient laissé fort sceptique, me vint un jour. C'était un jeudi, vers 5 heures du soir. M R. n'avait pas encore terminé sa période de treize jours il en était à sa première semaine et se trouvait donc encore à Perpignan. Je dis à S. ce que j'attendais de lui, il s'y prêta aussitôt, curieux comme moi de connaître le résultat de ces expériences. Je l'endormis et lui ordonnai de chercher son patron. Il devait être alors 5 h. 1/4,. Après quelques instants de silence, le sujet me dit « Je le vois. » - Où ? lui demandai-je. « II est au café. » - Lequel ? « Au café de la Mairie.» - Que fait-il? « Il prend l'absinthe. » - Est-il tout seul ? « Non, il est avec deux autres camarades. » - Les connaissez-vous ceux-là ? « Non, je ne les connais pas. » Puis, se ravisant : « Ah il y en a un que j'ai vu ici pour la Saint-Ferréol » (on désigne ainsi la fête patronale de Céret). Ne trouvant rien plus à demander concernant M R. je l'envoyai chez lui - il était du Soler et il me dit voir sa mère vaquant aux soins du ménage, son frère assis dans la cuisine, etc., bref, des banalités ; aussi n'insistai-je pas, car je ne voyais pas le moyen d'en contrôler l'exactitude. Je le réveillai là-dessus et lui racontai tout ce qu'il m'avait dit. Il en était tout étonné, car il ne se souvenait de rien.
» Quelques instants après je l'endormis de nouveau et l'envoyai encore à la recherche de son patron. A ma question : « Voyez-vous encore votre patron? » II me répondit « II n'est plus au café. » - Où est-il donc ? « Il marche. » - Est-il encore avec ses camarades ? « Il y en a un qui est parti. » - Lequel ? « Celui qui était ici pour la Saint-Ferréol. » - Puisqu'ils marchent, suivez-les, où vont-ils? « Je ne sais pas. » - Eh bien, vous me le direz quand vous le saurez. Ici un silence d'une minute environ, puis, tout à coup « Ils vont souper » - Comment le savez-vous? « Ils entrent à la Boule d'Or. »
» Je n'insistai pas davantage et je réveillai mon sujet qui d'ailleurs paraissait fatigué.
» Restait maintenant à contrôler l'exactitude des faits qu'il m'avait dévoilés.
Publicité de 1912 pour La Boule d'Or |
» Je savais que M. R. devait venir le samedi suivant en permission de vingt-quatre heures. Je me proposai d'aller l'attendre à la gare et de l'interroger aussi habilement que je le pourrais sur l'emploi de son temps, le jeudi soir entre 5 heures et 6 heures. C'est ce que je fis. En chemin, je lui dis : « Jeudi dernier, vers 5 h. 1/4, je vous ai vu à Perpignan. Vous étiez au café de la Mairie (note : Actuellement hôtel-restaurant Gadel, à côté du café de la Loge.), vous preniez l'absinthe avec deux de vos camarades. » M. R...., me regardant, me dit simplement « Pourquoi n'êtes-vous pas venu me dire bonjour? Vous auriez fait comme nous. » – Je n'ai pas osé, craignant d'être indiscret lui répondis-je ; d'ailleurs j'étais pressé, je n'en avais pas le temps. « Tant pis, vous m'auriez fait tout de même plaisir de me dire un mot. » - A propos, lui demandai-je, quels étaient vos deux camarades ? L'un d'eux n'a-t-il pas été ici à Céret? « Mes camarades s'appellent l'un F. qui est d'ailleurs d'ici, mais qui n'y habite plus, et l'autre, Charles M. pâtissier à Perpignan. » - Lequel des deux était ici, pour la Sain-Férréol ? « Eh bien, c'est mon ami Charles que j'avais invité pour la fête. » - Alors c'est lui qui vous a quitté quand vous êtes allé souper avec F. à la Boule d'0r ?
» A cette interrogation, M. R. me regarde stupéfait et s'écrie: « Comment le savez-vous ? Vous m'avez donc suivi ? Que me racontiez-vous donc tout à l'heure que vous étiez si pressé ! » Je ne pus m'empêcher de rire et fus obligé de lui dire comment j'avais obtenu ces renseignements.
» M. R. n'avait sans doute aucune idée des phénomènes hypnotiques, car il n'ajouta aucune créance à mon dire et il s'écria : « Vous êtes un farceur ! Vous vous gaussez de moi ! » Et j'eus beau essayer de le convaincre que je n'avais pas employé d'autres moyens pour connaitre l'emploi de son temps, je ne pus y réussir.
» Enfin, lui dis-je, l'essentiel pour moi c'est que vous reconnaissiez que tout ce que je vous ai dit est exact. Pour le reste, puisque vous êtes si incrédule, je vous le ferai voir un de ces jours. J'espère, alors que vous serez convaincu. « Oh ! Si je le vois, je le croirai. » Nous nous quittâmes sur ces mots.
» Le samedi suivant, M. R. était rentré définitivement à Céret, sa période de treize jours terminée. Etant allé me faire servir ce jour-là, il me rappela lui-même ma promesse et nous nous donnâmes rendez-vous pour le lundi soir après 8 heures afin d'être tout à fait libres. Le lundi est, en effet, jour de repos pour les coiffeurs. Je n'eus garde de manquer au rendez-vous. A 8 heures, je me rendis au salon de coiffure où se trouvaient déjà, outre M. R et son employé, la soeur de celui-ci, demoiselle d'une quarantaine d'années, un M. S..., ancien boucher et une autre personne que je ne connaissais pas. J'endormis S... et lui fis exécuter diverses suggestions, à l'étonnement dès assistants qui n'en avaient jamais été témoins ; puis je le réveillai. Sur ces entrefaites, Mme R. paraît sur le seuil de la porte du salon de coiffure. (Ce salon qui est situé dans la rue Saint-Ferréol, laquelle est perpendiculaire au boulevard Saint-Roch et à trente pas de ce boulevard, n'a qu'une entrée donnant sur la rue ; Mme R. a son habitation dans l'intérieur de la ville.) Mme R. se montre donc sur le seuil, parait un moment interdite et, s'adressant à son mari, sans finir d'entrer, lui dit: « Antoine, je vais où tu sais. » Et, sans d'autres mots, elle s'en va.
» Alors, une inspiration me vint. Je demandai à M. R. : « Est-ce que votre employé sait où va votre femme et ce qu'elle va faire ? » (note : Je posai cette question au préalable, car je savais que l'employé était nourri et logé chez son patron. ) - « Cela non, il l'ignore totalement, car c'est une affaire entre ma femme et moi. » - Eh bien, lui dis-je alors, si votre employé nous dit où va votre femme et ce qu'elle va faire, croirez-vous qu'il ait pu me dire ce que vous faisiez, vous, à Perpignan ? « Oh alors, je ne douterai plus. » - Bien, nous allons voir.
» J'endormis aussitôt le sujet et le fis asseoir dans un fauteuil : Suivez Mme R. lui ordonnai-je ; la voyez-vous ? « Je la vois, elle descend la rue Saint-Ferréol. » (note : La rue Saint-Ferréol est très longue et descend en pente, orientée de l'est à l'ouest.). - Bon, suivez-là, vous me direz ce qu'elle fait. Au bout d'un instant de silence, il dit : « Elle est arrêtée. » - Où cela ? « Au fond de la rue. » - Que fait-elle? « Elle parle. » - Avec qui ? « Avec une femme. » - La connaissez-vous cette femme ? « Non,je ne la connais pas. » - Vous ne savez donc pas quelles sont ses occupations? « Si, elle vend du vin. » - Et où demeure-t-elle ? « A main gauche en descendant. » Alors l'idée me vint, puisqu'il voyait les deux femmes causer, de lui faire entendre ce qu'elles disaient. Eh bien, puisqu'elles causent, écoutez ce qu'elles disent et répétez-le moi. « Je n'entends pas », me répondit-il. - Ecoutez, insistai-je, vous entendrez. Il me répéta, cette fois en élevant la voix et avec une certaine irritation « Je n'entends pas. » - Je veux que vous entendiez ordonnai- je.
» Aussitôt, le visage du sujet changea d'expression ; on voyait qu'un violent effort crispait sa volonté, les veines de son front se gonflèrent, puis, tout à coup, tout son être tendu, d'une voix saccadée, étrange, il proféra ces deux mots : « Argent... Espagne ! » et il se laissa aller dans le fauteuil comme épuisé. Je le réveillai aussitôt, un peu effrayé, et comme il demeurait comme prostré, je dus lui mouiller les tempes avec une serviette, ce à quoi je n'avais jamais eus recours encore.
» Sur ces entrefaites, Mme R. rentre dans le salon de coiffure. Je m'avance aussitôt vers elle, et, avant que personne lui adresse la parole, je lui dis : « Madame, est-ce vrai que vous venez du fond de la rue Saint-Férréol de trouver une marchande de vin avec laquelle vous avez causé, je ne sais à propos de quoi, d'argent..., d'Espagne...» Mme R. me regarde en riant et m'explique aussitôt (note: En catalan dans le texte mais nous donnons ici la traduction en français faite par M. Jean B. lui-même.) : « Oui, je viens de chez la femme T. ; comme je sais que son mari doit aller en Espagne cette semaine, je viens de lui demander s'il pourra me prendre les sous espagnols (la monnaie de billon espagnole) que j'ai à la maison. » A ce moment-là, en effet, il y avait quelque temps que la circulation de la monnaie de billon espagnole avait été prohibée dans le département des Pyrénées-Orientales qui en était littéralement inondé.
Source : Gallica (cf. lien)
Photo portrait : Auteur anonyme, portrait d'Émile Boirac vers 1917 (via Wikimedia Commons, domaine public).
Photo publicité : Le Rappel Catalan, 1912 (domaine public)
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Bjr, vous trouverez d'autres cas rapportés dans "La psychologie inconnue" (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k649370/f1.image), du recteur Boirac connu comme philisophe, espérantiste, et médium (http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89mile_Boirac); Voir aussi "Histoire du mouvement espérantiste en Roussillon, par Jean Amouroux, in revue Conflent (épuisé,consultable) en bibliothèque
RépondreSupprimerJe n'ai pas vu dans ce livre d'autres cas issus des Pyrénées-Orientales (mais je l'ai parcouru rapidement). Quant au sujet de l'espérantisme, j'ai prévu de m'y intéresser tantôt, ayant pratiqué l'esperanto moi-même jadis.
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