jeudi 14 mai 2015

Création de Corbère-les-Cabanes en 1856

Sur la carte de Cassini (XVIIIème s.), on peut voir Corbère et "Les Cabanes".
Le petit hameau des Cabanes naît au XVIème siècle au nord-est de Corbère, en Ribéral, et se développe au siècle suivant, jusqu'à prendre un peu d'importance et finir par demander son indépendance par rapport à sa commune d'origine au cours du XIXème siècle.

C'est chose faite le 14 mai 1856, date à laquelle est promulguée par Napoléon III la loi créant la commune de Corbère-les-Cabanes par détachement de la commune de Corbère. Voyons le détail du texte de loi.

N°3586 - Loi portant que la section des Cabanes est distraite de la commune de Corbère (Pyrénées-Orientales)  et érigée en commune distincte, sous le nom de Corbère-les-Cabanes.


Du 14 mai 1856

NAPOLÉON, par la grâce de Dieu et la volonté nationale, EMPEREUR DES FRANÇAIS, à tous présents et à venir, SALUT.

AVONS SANCTIONNÉ et SANCTIONNONS, PROMULGUÉ et PROMULGUONS ce qui suit :


LOI


Extrait du procès-verbal du Corps législatif

LE CORPS LÉGISLATIF A ADOPTÉ LE PROJET DE LOI dont la teneur suit :

ART. Ier. La section des Cabanes, dont le territoire est indiqué par une teinte brique sur le plan annexé à la présente loi, est distraite de la commune de Corbère, canton de Millas, arrondissement de Perpignan, département des Pyrénées-Orientales, et érigée en commune distinctte, sous le nom de Corbère-les-Cabanes.
Le chef-lieu de cette commune est fixé aux Cabanes.
En conséquence, la limite entre les communes de Corbère-les-Cabanes et Corbère est établie conformément au tracé de la ligne aurore dudit plan.
2. Les dispositions qui précèdent auront lieu sans préjudice des droits d'usage ou autres qui pourraient être respectivement acquis.
(...)
Fait au palais des Tuileries, le 14 mai 1856.

Signé NAPOLÉON
Par l'Empereur :
Le Ministre d' état,
Signé Achille Fould

Vu et scellé du grand sceau :
Le Garde des sceaux, Ministre secrétaire d'état
au département de la justice,
Signé Abbatucci.

Avant la séparation, la commune de Corbère avait une superficie de 1139 hectares. Avec la création de Corbère-les-Cabanes, elle en perd 414, tombant ainsi a une nouvelle superficie de 725 hectares.
Concernant la population, Corbère compte 1481 habitants en 1851. Le recensement suivant, en 1856, ne donne plus que 997 habitants pour Corbère, soit 484 de moins, alors que Corbère-les-Cabanes, dont c'est le premier recensement distinct, compte désormais 496 habitants. De nos jours la situation a bien changé, puisque l'on ne trouve plus en 2012 que 717 habitants à Corbère pour 1125 à Corbère-les-Cabanes.

Sources :
Texte de loi : Bulletin des lois de la République française de mai 1856 (via Gallica) (domaine public)
Autres infos :
Notices Cassini de Corbère et Corbère-les-Cabanes.
Jean-Pierre Pélissier, Paroisses et communes de France : dictionnaire d'histoire administrative et démographique, vol. 66 : Pyrénées-Orientales, Paris, CNRS,‎



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jeudi 7 mai 2015

Orties inoffensives à Collioure en 1874

Grande ortie
On peut lire dans La Science illustrée du 16 décembre 1902 une observation botanique effectuée par Charles Naudin à Collioure presque trente ans auparavant concernant l'influence du vent sur les propriétés urticantes des orties.

(...)
Chez les animaux le vent  accroît la respiration, accélère les échanges nutritifs ; chez les végétaux il active la transpiration.
Il peut priver momentanément les fleurs de leur parfum, évaporer le venin des glandes, désarmer la plus redoutable de toutes les herbes : l'ortie.
En février 1874, à Collioure, un vent violent qui dura vingt-quatre heures fit tomber par millier les oranges et, beaucoup, au milieu de vigoureuses orties grièches.
Avec une appréhension bien légitime, les travailleurs, le lendemain, commencèrent à ramasser les fruits d'or dans ces peu agréables plates-bandes. Leur surprise fut grande en constatant qu'ils pouvaient manier impunément ces plantes qui, la veille encore, produisaient d'intolérables piqûres.
Le botaniste Naudin auquel le fait fut signalé remarqua qu'il fallut une semaine aux orties pour reprendre leurs habituelles propriétés.
Sans doute, le venin de l'ortie grièche est un peu volatil. Dans un air calme, il s'évapore lentement à travers l'épiderme des poils et une nouvelle quantité de liquide le remplace à mesure.
Au grand vent, l'exhalation devient si active qu'elle amène, pour quelques jours, l'épuisement de la réserve.
(...)

Charles Naudin vécut dix ans à Collioure et y fit une étude complète du climat local (cf. le chapitre que je lui consacre dans 66 petites histoires du pays catalan), tout en développant son jardin botanique et acclimatant de nombreuses espèces végétales exotiques dans la région.
Je ne sais pas ce qu'il reste aujourd'hui de ce qui semble avoir été une production intensive d'agrumes à Collioure, ville jadis renommée pour son poncire, ni même s'il y a encore des orties car il me semble (c'est un constat personnel) qu'on en voit beaucoup moins depuis quelques années dans la nature. On a en tout cas, avec les périodes de grand vent, une méthode infaillible pour les ramasser sans danger !

Source : Ferdinand Faideau, Le vent et les plantes in La Science illustrée (Paris) n° 784 du 16 décembre 1902 (via Gallica)
Photo : Uwe H. Friese via Wikimedia Commons (CC-BY-SA)

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lundi 27 avril 2015

La plus belle merveille du Roussillon en 1821

Antoine Ignace Melling vers 1830
Ainsi que nous avons pu le voir précédemment, Joseph Antoine Cervini et Antoine Ignace Melling sont envoyés par l'Etat français pour parcourir les Pyrénées d'ouest en est en 1821. Après leur première étape en route vers les Pyrénées-Orientales qui les a conduit de Quillan à Caudiès-de-Fenouillèdes, nos deux voyageurs poursuivent leur périple en se rendant à Saint-Paul-de-Fenouillet. Guidés par leur aubergiste, un certain monsieur Baille, ils entreprennent la visite de l'ermitage de Saint-Antoine-de-Galamus. Le site les impressionne au point d'être qualifié de « plus belle merveille du Roussillon ». Encore une fois, le récit est un peu long mais mérite d'être lu jusqu'au bout pour les nombreux détails qu'il donne, à la fois à propos du site et de la vie des habitants à l'époque.

À notre arrivée à Saint-Paul-de-Fenouillet, le premier soin qui nous occupa fut d'aller visiter l'Ermitage de Saint-Antoine de Galamus. Nous dirigeant au Nord-Ouest de cette ville, nous atteignîmes bientôt le pied d'une petite montagne ; mais pour arriver à l'entrée du désert il nous fallut monter par un soleil brûlant et pendant une marche de trois-quarts d'heure. Nous parvînmes ainsi devant la belle grille qui ferme l'étroit passage pratiqué entre un rocher à pic et un précipice dont le fond est sillonné par l'Agly. Ici notre guide, qui n'était autre que l'aubergiste Baille chez lequel nous étions descendus, fit usage d'une des deux grosses clefs dont il s'était muni, et nous entrâmes dans l'enceinte du désert. Un joli sentier, tracé en pente douce sur le revers septentrional de la montagne, nous conduisit en un quart d'heure à l'endroit d'où nous vîmes, en échappée, le site représenté dans la gravure qui suit. Après avoir contemplé le bel effet de ce point de vue et nous être proposé de le dessiner de cette position, si en avançant nous n'en trouvions pas une autre plus avantageuse, nous poursuivîmes notre descente vers le bas du petit bassin qu'entourent de hauts rochers la plupart nus, escarpés, inabordables, d'autres couverts d'arbres de toute espèce et d'une grande beauté. Le chemin que l'on suit est frayé sur le coteau le plus riche en végétation vigoureuse ; il serpente à travers un bois de chênes-verts, d'alaternes, de myrtes, de lauriers francs, d'arbousiers, de laurier-thym, de buis d'une grande taille et de plusieurs espèces de genévriers. Nous le parcourons avec délices, et nous arrivons ainsi sur les terrasses soutenues par des murs en maçonnerie qui précèdent l'Ermitage, et qu'à notre grande surprise nous trouvons ornées de magnifiques fleurs cultivées. Mais avant de nous diriger vers la chapelle, deux objets intéressants appellent un instant notre attention. Nous voulons contempler ce roc isolé que l'on dirait taillé et placé par la main des hommes, et qui s'élève comme une pyramide colossale auprès de la plus magnifique cascade. Nous visitons ensuite la grotte qui se montre à proximité et que nous trouvons remplie de stalactites offrant des formes et des figures de tout genre et de toutes couleurs. Cependant l'Ermitage et la chapelle nous attirent à leur tour, et nous en approchons en montant un escalier de vingt-cinq marches. C'est alors que notre aubergiste fit usage de sa seconde clef et qu'il s'enorgueillit avec raison d'offrir à nos yeux la plus belle merveille du Roussillon. Nous franchissons une porte et nous voyons dans son ensemble une vaste excavation, voûtée en ogive gothique. Rien ne peut égaler l'étonnement qu'on éprouve à l'aspect de cette grotte percée, taillée des mains de la nature et disposée de manière à représenter une église spacieuse, profonde et régulièrement ordonnée. Le rocher de la voûte, en s'abaissant graduellement, forme le fond du sanctuaire, comme en descendant des deux côtés de droite et de gauche il constitue les parois latérales du temple. Ces parois sont tapissées de stalactites qui figurent de longs pilastres, des colonnes minces et effilées, et des troncs d'arbres avec leurs rameaux ; sur quelques-uns des pans des murailles elles paraissent tracer des figures humaines en bas-reliefs. Le travail de l'homme ne se montre que dans le mur bâti à l'entrée de la grotte et dans les autels en marbre, l'un au fond, l'autre à gauche, tous deux également surmontés des statues de Saint-Antoine. Cette église n'est éclairée que par le pertuis qu'on a laissé au-dessus de l'arceau en maçonnerie qui termine le mur extérieur, et par conséquent le jour y est sombre, mystérieux et tel qu'il convient à des édifices religieux.


L'ermitage Saint-Antoine de Galamus vu par Melling en 1821


Nous sortîmes de ce curieux monument, et pour visiter la demeure simple, commode, mais déserte et abandonnée de l'Ermite, nous passâmes devant la fameuse cloche, jadis tant renommée, et dont la tradition exalte les effets miraculeux. Notre complaisant guide se plut à nous répéter tout ce qu'on en raconte, et nous assura d'un air très-sérieux que « plus efficace contre la stérilité des femmes que toutes les sources thermales des Pyrénées, il suffisait de toucher la corde de cette cloche pour devenir mère ». Après avoir pénétré dans une autre petite excavation naturelle où conduit un escalier placé au coin de la cour de l'Ermitage et nous vîmes suinter de la voûte cette eau claire et limpide dont le pieux anachorète se désaltérait, nous revînmes sur nos pas pour nous installer au point de vue que nus avions remarqué avant d'atteindre le fond du vallon. Notre dessin terminé, nous reprîmes le chemin de Saint-Paul.

Cet Ermitage n'étant plus visité aujourd'hui qu'à la fête du saint dont il porte le nom, se ressent de l'état d'abandon où il est livré depuis que l'Ermite l'a quitté. Cependant, aux temps même de troubles et d'agitation encore près de nous, son isolement le préserva de toute dévastation. La hache respecta aussi jusqu'en 1817 les arbres qui le couvraient de leur ombrage ; mais à cette époque quelques habitants de Saint-Paul portèrent sur ces arbres antiques leurs mains impitoyables, et ce lieu perdit son plus bel ornement. Un buis, dont l'espèce ne donne généralement en France que de frêles et modestes arbrisseaux, élevait ici à plus de 60 pieds sa taille majestueuse. Ce phénomène, ce géant du désert, périt victime des dévastateurs, et la barbarie détruisit en un jour ce que la nature avait mis des siècles à former !

Note : Comme la plupart des ermitages en France, celui de Saint-Antoine de Galamus a été fermé à la Révolution française, quoi qu'un gardien soit resté quelques années pour assurer la sécurité du lieu. Mais lorsque Cervini et Melling y passent en 1821, le lieu est bien vide, et il faut attendre 1843 pour qu'un frère franciscain revienne s'y installer et le remettre en fonction.

Source : Rosalis (Bib. num. de Toulouse)

Portrait d'Antoine Ignace Melling : Pierre Roch Vigneron vers 1830 (domaine public, via Wikimedia Commons)
Vue de l'ermitage Saint-Antoine de Galamus : Antoine Ignace Melling (1763-1831) (domaine public, via Wikimedia Commons)


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samedi 18 avril 2015

Un loup abattu à Vinça en 1933

Vue générale de Vinça de nos jours
Nous avons pu voir précédemment les dégâts (réels ou supposés) causés par les loups en Cerdagne en 1864. Ces animaux disparaissent ensuite du département et ne sont aperçus qu'épisodiquement. On peut lire à ce propos dans le journal L'Humanité du 3 janvier 1933, en plein hiver, le récit d'un loup tué à Sahorle, hameau de Vinça, en Conflent. Il y a à l'époque un peu plus de 1500 habitants à Vinça.



Un loup est abattu dans les Pyrénées-Orientales

Perpignan, 2 janvier.
On a tué, au hameau de Sahorle, près de Vinça, un gros loup qui ravageait les troupeaux depuis quelques temps. Il y avait plus de vingt-cinq ans qu'on n'avait pas vu de loup dans le département.

Si l'on en croit l'auteur de cette dépêche, les loups ont disparu des Pyrénées-Orientales avant 1908, au moins. Cette information est probable car il ne reste sans doute qu'à peu près 500 loups sur tout le territoire français en 1900. Les derniers loups français sont tués à la fin des années 30.

Source : Gallica (cf. lien)
Photo : Meria z Geoian (via Wikimedia Commons, CC-BY-SA)


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samedi 4 avril 2015

Le zélé curé de Prugnanes 1901-1907

Les conflits entre maire et curé sont un classique de nos villages d'antan, ainsi que nous avons déjà pu le voir à Pollestres en 1881, à Dorres en 1892 et à Las Illas en 1907.  Le petit village de Prugnanes, dans le Fenouillèdes, ne fait pas exception à la règle. Après avoir atteint un peu plus de 200 habitants au XIXe siècle, le village se dépeuple progressivement et compte 165 habitant en 1901 et 157 en 1906 (102 en 2012). L'église paroissiale, dédiée à Saint-Martin, existe depuis le Moyen Âge mais fut reconstruite au XVIIe siècle.

Mais revenons au curé de Prugnanes, qui se fait déjà remarquer dans la presse nationale en 1901, en tant que sujet de moquerie dans L'Aurore du 8 décembre 1901.

 Il y avait quelque temps que nous n'avions entendu parler de l'église ou de la chapelle qui menace ruine, et pour la réparation de laquelle un desservant désespéré tend une aumônière qui ressemble au tonneau des Danaïdes. La voici. Un de nos lecteurs nous envoie la circulaire par laquelle le curé de Prugnanes sollicite les âmes généreuses en faveur de son église « dont la voûte est tombée depuis longtemps ». Même il complète le tableau par quelques mots bien sentis sur la sacristie, «  inondée à la moindre pluie », sur les ornements qui sont « dans un état pitoyable », et sur les chaises « qui ne tiennent pas debout ».
La commune, dont la population s'élève à 180 habitants, lui a donné une subvention de 1,000 francs, ce qui a dû fortement écorner le budget d'un petit trou pas riche dons nous ne froisserons pas la vanité en disant qu'il ne dispose pas tout à fait des mêmes ressources que Paris ; l'Etat lui a accordé un secours de 300 francs et ses paroissiens lui ont donné plus de 500 francs. Enfin l'Evêque de Perpignan lui a accordé les reliques de la Vraie Croix et de Saint-Martin, et on lui offre une statue de la Vierge.
Mais le curé de Prugnanes est insatiable. Il lui faut des reliquaires pour ses reliques, il lui faut payer le port de sa statue ; « il lui faut des ornements convenables, et il n'a pas même de crucifix dans l'église ».
Aussi est-il prêt à recevoir la moindre obole avec reconnaissance. « Un franc, cinquante centimes ou même un simple timbre (sic) sont à la portée de toutes les âmes zélées pour la gloire de Dieu ». Mais si le cœur vous en dit, vous êtes libres d'envoyer 10 francs, ce qui vous donnera droit à dix messes. Allons ! allons ! âmes pieuses, un peu de courage à la poche !

Une brève parue dans le journal La Croix du 26 avril 1905 nous révèle le nom du curé :

Nos amis défunts
Mme Anne Tourné de Massota, mère de M. le curé de Prugnanes (Pyrénées-Orientales), dont la Semaine religieuse de Perpignan relate avec de grands éloges les touchantes funérailles.

Les années 1905 à 1907 sont particulièrement propices aux conflits, entre la Loi de séparation des Églises et de l'État de 1905 et la querelle des inventaires qui suit en 1906, le tout étant la cause d'une certaine tension permanente entre religieux et laïcs. Le maire de Prugnanes semble à cette période avoir une dent contre le curé, ainsi que le révèle le journal Le Temps du 22 juin 1906. Ce dernier n'a toutefois pas l'air d'être d'un caractère facile.

Perpignan, 21 juin

Ce matin, comparaissait devant le tribunal correctionnel de Perpignan le curé de Prugnanes, accusé d'avoir injurié, dans une lettre adressée au procureur de la République, le maire de la commune, qui avait refusé de lui signer une demande d'allocation.
Le curé, qui était poursuivi également pour avoir injurié en chaire le président de la République, à été condamné à quinze jours de prison, avec sursis.
Il a été relaxé.

Malgré ce conflit, le curé recevra rapidement son allocation, ainsi que le prouve le Journal officiel du 24 juillet 1906, citant l'arrêté du 23 juillet 1906 approuvant l'attribution d'allocations durant huit ans à une liste de ministres des cultes dans laquelle il figure, avec cinq autres curés du département :

Monet, desservant à Urbanya (Pyrénées-Orientales)
Puy, desservant à Matemale (Pyrénées-Orientales)
Respaut, desservant à Campome (Pyrénées-Orientales)
Salvadou, desservant à Conat (Pyrénées-Orientales)
Sol, desservant à Trévillach (Pyrénées-Orientales)
Tourné, desservant à Prugnanes (Pyrénées-Orientales)

La tension ne semble cependant pas être retombée l'année suivante, ainsi que nous l'indique encore le journal Le Temps du 23 janvier 1907, puisque l'on finit même par se battre dans l'église Saint-Martin, un jour d'enterrement de surcroît.

A Prugnanes (arrondissement de Perpignan) de graves incidents se sont produits à l'occasion des obsèques d'une dame. Au moment où le cortège allait entrer dans l'église, l'abbé Tourné, curé de Prugnanes, s'avança sur la porte et interdit au cortège l'accès de l'église. Le maire donne aussitôt l'ordre de laisser pénétrer dans l'église et comme l'abbé Tourné protestait, le maire passa outre, assisté du garde-champêtre et ayant à sa suite la majeure partie du cortège pénètre dans l'église. Le curé s'élève alors contre les violences dont, dit-il, il vient d'être l'objet. Des assistants ripostent. Les parents de la défunte se mêlent à la discussion. C'est une mêlée générale ; des coups sont échangés. Finalement, les assistants prennent le parti de chanter eux-mêmes la messe.

C'est la dernière fois que la presse nationale mentionne le curé Tourné, de Prugnanes. Notons que le maire et son conseil municipal démissionnent en bloc quelques mois plus tard, à l'occasion de la crise viticole et comme cela s'est fait également dans de nombreuses autres communes de la région. Voyons par exemple la brève parue dans le journal Le Rappel du 19 juin 1907.

La crise viticole

Perpignan, 17 juin
Le conseil municipal de Prugnanes a adressé sa démission au préfet, en lui donnant l'assurance de ses sentiments républicains.

Retrouvez ici tous les articles de ce blog en rapport avec les Fenouillèdes et toutes les histoires impliquant des curés !

Sources : Gallica (cf. liens)
Carte : Openstreetmap, via Wikicommons (CC-BY-SA)
Note : Prugnanes fait partie des 9 communes des Pyrénées-Orientales sur Wikipédia dont l'article n'a aucune photo et je n'ai trouvé ailleurs sur le Web aucune image libre de réutilisation concernant le village ou son église. Je pense que je vais devoir aller y faire un tour !

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vendredi 20 mars 2015

Eclipse solaire de 1905 à Perpignan

Le 30 août 1905 a lieu une éclipse solaire totale, visible à Perpignan avec une occultation de 94% du soleil par la lune. En comparaison, l'éclipse totale du 20 mars 2015 ne couvre le soleil, depuis Perpignan, qu'à 71%. L'éclipse de 1905 était au maximum de sa visibilité dans le nord-est de l'Espagne et sur une partie du littoral du Maghreb. En Espagne, c'est dans la région de Valence, plus précisément dans la petite ville d'Alcalá de Chivert (Alcalá de Xivert en valencien), que choisirent de se réunir des scientifiques du monde entier.

Vieux papiers des Pyrénées-Orientales
Photo de l'éclipse du 30 août 1905

La République des Pyrénées-Orientales du 31 août 1905 nous donne le compte-rendu de l'événement tel qu'il a été vu depuis Perpignan


L'Eclipse d'hier

La nature est décidément capricieuse, et ceux de nos concitoyens qui stationnaient hier dans les rues de la ville, - ils étaient nombreux - ont pu aisément s'en convaincre.
Jusqu'à midi, le ciel était d'une pureté absolue. Quelques minutes avant le commencement de l'éclipse, le ciel s'est chargé de nuages épais, et ces nuages ne se sont dissipés qu'à deux heures, c'est à dire au moment des dernières phases du phénomène.
Vers une heure et demie cependant, c'est à dire au moment de l'occultation des 94 centièmes du soleil par la lune, de nombreuses éclaircies ont permis de braquer vers le ciel les lunettes d'approche et les verres fumés. Le soleil caché presque complètement n'envoyait plus que des rayons blafards.
Il est dommage que le temps couvert n'ait pas permis d'observer complètement les diverses phases du phénomène.
Mais on a rien perdu pour attendre. Ce sera pour la prochaine, voilà tout.

L'éclipse a bien sûr été observée depuis l'observatoire météorologique de Perpignan par son directeur M. O. Mengel qui constate notamment une chute de la température au moment de l'événement :
La température, à partir de 12h 15 m. varie d'une façon anormale : sous l'abri, à 3 mètres du sol, de 24°2 elle descend d'une façon continue à 20°5, qu'elle atteint à 13h 40 m., soit une baisse de 3°7. Au sol, de 40° qu'elle était à 12h 15 m., elle tombe à 19°5, également à 13 h 40 m. : d'où un écart de 20°5.

Sources :

Article de la République des Pyrénées-Orientales : Fonds numérisé de la bibliothèque de Perpignan.
L'éclipse depuis l'Espagne et ailleurs : Le Figaro du 31 août 1905, via Gallica.
Observatoire de Perpignan : Soleil - L'éclipse totale de-du 30 août 1905, Ciel et Terre, Vol. 26, 1905, p. 489

Photo : Auteur inconnu, domaine public.



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mardi 17 mars 2015

Le voyage sans A de Jacques Arago

Jacques Arago (1790-1854) est l'un des frères Arago (avec François, mais aussi Jean et Étienne), connu en son temps à la fois comme auteur dramatique et explorateur. Après ses voyages de jeunesse effectués autour de la Méditerranée, il embarque en 1817 comme dessinateur pour un tour du monde à bord de l'Uranie. De retour en 1820 après moult péripéties, il en tire un ouvrage au succès considérable et intitulé d'abord Promenade autour du monde puis Voyage autour du monde fait par ordre du Roi sur les corvettes de S. M. l'Uranie et la Physicienne. Profitant de cette popularité, Jacques Arago fait paraître tout au long de sa vie de multiples versions de cet ouvrage avec des titres divers, dont une des plus célèbres est Souvenirs d'un aveugle, du fait de la cécité dont il souffre à partir de 1837, ne l'empêchant nullement cependant de continuer à voyager à travers le monde, de la Californie à la Nouvelle-Calédonie et encore au Brésil.

Vieux papiers des Pyrénées-Orientales
Jacques Arago (vers 1839)

La version qui nous intéresse serait née de la conversation d'une demoiselle voisine de table d'Arago dans un dîner mondain et le mettant au défi de refaire le récit de ses souvenirs de voyage, mais sans la lettre A. Défi que s'empresse de relever l'auteur dans un texte écrit en huit jours, de quelques pages seulement toutefois, et paru en  1853 sous le titre Voyage autour du monde, sans la lettre A. Il s'agit donc d'un lipogramme, un texte à qui il manque une lettre. Ce procédé stylistique existe depuis l'antiquité et trouvera plus tard son plus grand succès avec La Disparition (1969) de Georges Perec.

L'ouvrage de Jacques Arago est logiquement adressé à la dite demoiselle, laquelle lui répondra elle-même par une lettre sensée (sans C). Les premières lignes de l'ouvrage rappellent l'origine du défi :

Chère bonne, vous êtes bien impérieuse, bien despote, comment voulez-vous qu'une plume docile inscrive ici, sur votre ordre, un récit fidèle des vicissitudes de nos courses, puisque je dois subir le frein qui m'est si cruellement imposé ? Que désire le coursier numide ? Les brumeux horizons, les steppes et le désert : prêtez-moi donc plus de liberté, si vous voulez que je n'oublie rien des périlleuses difficultés de cette route si longue et si rude qu'on nous prescrit de sillonner.

Voyons a présent quelques brefs extraits du récit lui-même. Ceux-ci ne sont qu'une incitation à lire la version intégrale, disponible sur  mediterranees.net, effort qui mérite d'être fait pour l'originalité du texte et, ce, d'autant que le récit lui-même est assez court.

Jacques Arago rappelle dans les premiers paragraphes ses origines et sa cécité. Le bourg pyrénéen de sa naissance est Estagel, patrie roussillonnaise de l'ensemble de la famille Arago.

Et puisqu'il est ici question de requin... Un jour, lorsque mollement étendu sur quelque dune silencieuse, vous verrez sur le flot moutonneux poindre le dos brun et lisse d'un de ces hideux écumeurs de mer, inclinez-vous, priez et dites-vous tristement : c'est le cercueil d'un fou qui n'eût point dû quitter son bourg pyrénéen, lui qui, depuis quinze hivers, ne voit plus ni le soleil ni un sourire de frère.

L'expédition passe tout d'abord par les Canaries.

Ténériffe est une île sortie des flots depuis bien des siècles ; elle est célèbre et semble fière de son superbe pic, cône terrible sur le sommet duquel vous voyez en même temps l'hiver et ses neiges, de fougueuses colonnes de fumée et de feux qui engloutiront un jour les villes, les bourgs et les riches vignobles dont s'enorgueillissent les citoyens les moins cosmopolites du monde et les brunes fillettes de Ste-Croix que je vous défie bien d'éviter, si vous étudiez leur prunelle noire, si vous écoutez le soir, vers le crépuscule, leur musique monotone et endormie.

Puis viennent le Brésil et l'Uruguay.

Oh ! oh ! que nous disent les lunettes ? Que nous dit le point ? Que le deuxième tropique nous domine, le voici : Rio et le Brésil sont sur notre droite ; plus loin, le fleuve immense où Montevideo dresse ses clochers pointus, ses églises splendides, ses rues si droites, et nous présente son port si peu protecteur de nos intérêts et de notre gloire.

Après le cap Horn, viennent les îles Chiloé au large du Chili.

Voici les Chiloé ; courez vite. Les flots tourbillonnent trop violents sur les rochers d'huîtres qui emprisonnent ce groupe d'îles où pèsent d'immenses forêts, éternelle fortune des indolents citoyens du Chili, leurs voisins.

Après le Pérou, la traversée de l'océan Pacifique et ses îles, c'est l'Indonésie, à travers l'archipel des Moluques puis Bornéo.

Voici Bornéo, cette île mystérieuse, immense comme un continent, qui réveille tous nos souvenirs historiques. Comment y pénétrer, comment fouiller ces éternelles solitudes que le tonnerre seul visite, que les plus intrépides n'osent point interroger, et dont les typhons éloignent les corvettes et les bricks les mieux construits pour les courses périlleuses ?

Ce sont ensuite les Célèbes, les Fidji, les îles Marquises puis Tahiti dont il ne peut écrire le nom :
(...) on voit bientôt poindre cette île fortunée, que Cook découvrit, qu'on nomme encore nouvelle Cythère (...)
Notons que Cook n'est ni le découvreur de l'île ni l'auteur du nom, mais sans doute le seul dont Arago puisse écrire le nom, les explorateurs Wallis et Bougainville étant proscrits dans ce lipogramme.

J'invite les lecteurs de cet article à se reporter au texte intégral pour y découvrir toutes les étapes de ce fabuleux voyage. Voyons pour finir la déclaration d'amour de Jacques Arago pour le Brésil, pays où il s'est rendu plusieurs fois et où il souhaite être enterré.

On ne quitte plus le Brésil, si l'on s'est promené une fois sous les dômes de verdure qui protègent le sol contre les flèches rigides d'un soleil de plomb. (...) Vive le Brésil où je veux qu'on me creuse une tombe !

Le lieu est choisi pour mon repos éternel, tout près du couvent de Ste-Thérèse où rossignolent de jeunes vierges dont le coeur vibre, moins pour Dieu qu'elles ne voient point, que pour les hommes dont elles étudient les silhouettes promeneuses sur les murs du cloître béni !

Soyez hors d'inquiétude ; mon front est découronné, mes pieds n'ont plus de vigueur, et vous ne devez rien redouter de moi qui, pour vous obéir, ne puis même signer mon nom que comme je l'inscris ici.

J.CQUES .R.GO.

Jacques Arago retourne au Brésil en 1854 espérant y obtenir la direction du théâtre impérial de San Pedro et y meurt le 27 novembre de la même année, permettant à son voeu d'être exaucé.

Sources :
Texte : mediterranees.net
Eléments biographiques :
* Jean Capeille, « Arago (Jacques) », dans Dictionnaire de biographies roussillonnaises, Perpignan,‎ 1914
* François Sarda, Les Arago : François et les autres, Tallandier,‎ 2002
Image :
Portrait de Jacques Arago : Alexandre-Vincent Sixdeniers (1795-1846) via Wikimedia Commons, domaine public


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