Les conflits entre maire et curé sont un classique de nos villages d'antan, ainsi que nous avons déjà pu le voir à Pollestres en 1881, à Dorres en 1892 et à Las Illas en 1907. Le petit village de Prugnanes, dans le Fenouillèdes, ne fait pas exception à la règle. Après avoir atteint un peu plus de 200 habitants au XIXe siècle, le village se dépeuple progressivement et compte 165 habitant en 1901 et 157 en 1906 (102 en 2012). L'église paroissiale, dédiée à Saint-Martin, existe depuis le Moyen Âge mais fut reconstruite au XVIIe siècle.
Mais revenons au curé de Prugnanes, qui se fait déjà remarquer dans la presse nationale en 1901, en tant que sujet de moquerie dans L'Aurore du 8 décembre 1901.
Il y avait quelque temps que nous n'avions entendu parler de l'église ou de la chapelle qui menace ruine, et pour la réparation de laquelle un desservant désespéré tend une aumônière qui ressemble au tonneau des Danaïdes. La voici. Un de nos lecteurs nous envoie la circulaire par laquelle le curé de Prugnanes sollicite les âmes généreuses en faveur de son église « dont la voûte est tombée depuis longtemps ». Même il complète le tableau par quelques mots bien sentis sur la sacristie, « inondée à la moindre pluie », sur les ornements qui sont « dans un état pitoyable », et sur les chaises « qui ne tiennent pas debout ».
La commune, dont la population s'élève à 180 habitants, lui a donné une subvention de 1,000 francs, ce qui a dû fortement écorner le budget d'un petit trou pas riche dons nous ne froisserons pas la vanité en disant qu'il ne dispose pas tout à fait des mêmes ressources que Paris ; l'Etat lui a accordé un secours de 300 francs et ses paroissiens lui ont donné plus de 500 francs. Enfin l'Evêque de Perpignan lui a accordé les reliques de la Vraie Croix et de Saint-Martin, et on lui offre une statue de la Vierge.
Mais le curé de Prugnanes est insatiable. Il lui faut des reliquaires pour ses reliques, il lui faut payer le port de sa statue ; « il lui faut des ornements convenables, et il n'a pas même de crucifix dans l'église ».
Aussi est-il prêt à recevoir la moindre obole avec reconnaissance. « Un franc, cinquante centimes ou même un simple timbre (sic) sont à la portée de toutes les âmes zélées pour la gloire de Dieu ». Mais si le cœur vous en dit, vous êtes libres d'envoyer 10 francs, ce qui vous donnera droit à dix messes. Allons ! allons ! âmes pieuses, un peu de courage à la poche !
Une brève parue dans le journal La Croix du 26 avril 1905 nous révèle le nom du curé :
Nos amis défunts
Mme Anne Tourné de Massota, mère de M. le curé de Prugnanes (Pyrénées-Orientales), dont la Semaine religieuse de Perpignan relate avec de grands éloges les touchantes funérailles.
Les années 1905 à 1907 sont particulièrement propices aux conflits, entre la Loi de séparation des Églises et de l'État de 1905 et la querelle des inventaires qui suit en 1906, le tout étant la cause d'une certaine tension permanente entre religieux et laïcs. Le maire de Prugnanes semble à cette période avoir une dent contre le curé, ainsi que le révèle le journal Le Temps du 22 juin 1906. Ce dernier n'a toutefois pas l'air d'être d'un caractère facile.
Perpignan, 21 juin
Ce matin, comparaissait devant le tribunal correctionnel de Perpignan le curé de Prugnanes, accusé d'avoir injurié, dans une lettre adressée au procureur de la République, le maire de la commune, qui avait refusé de lui signer une demande d'allocation.
Le curé, qui était poursuivi également pour avoir injurié en chaire le président de la République, à été condamné à quinze jours de prison, avec sursis.
Il a été relaxé.
Malgré ce conflit, le curé recevra rapidement son allocation, ainsi que le prouve le Journal officiel du 24 juillet 1906, citant l'arrêté du 23 juillet 1906 approuvant l'attribution d'allocations durant huit ans à une liste de ministres des cultes dans laquelle il figure, avec cinq autres curés du département :
Monet, desservant à Urbanya (Pyrénées-Orientales)
Puy, desservant à Matemale (Pyrénées-Orientales)
Respaut, desservant à Campome (Pyrénées-Orientales)
Salvadou, desservant à Conat (Pyrénées-Orientales)
Sol, desservant à Trévillach (Pyrénées-Orientales)
Tourné, desservant à Prugnanes (Pyrénées-Orientales)
La tension ne semble cependant pas être retombée l'année suivante, ainsi que nous l'indique encore le journal Le Temps du 23 janvier 1907, puisque l'on finit même par se battre dans l'église Saint-Martin, un jour d'enterrement de surcroît.
A Prugnanes (arrondissement de Perpignan) de graves incidents se sont produits à l'occasion des obsèques d'une dame. Au moment où le cortège allait entrer dans l'église, l'abbé Tourné, curé de Prugnanes, s'avança sur la porte et interdit au cortège l'accès de l'église. Le maire donne aussitôt l'ordre de laisser pénétrer dans l'église et comme l'abbé Tourné protestait, le maire passa outre, assisté du garde-champêtre et ayant à sa suite la majeure partie du cortège pénètre dans l'église. Le curé s'élève alors contre les violences dont, dit-il, il vient d'être l'objet. Des assistants ripostent. Les parents de la défunte se mêlent à la discussion. C'est une mêlée générale ; des coups sont échangés. Finalement, les assistants prennent le parti de chanter eux-mêmes la messe.
C'est la dernière fois que la presse nationale mentionne le curé Tourné, de Prugnanes. Notons que le maire et son conseil municipal démissionnent en bloc quelques mois plus tard, à l'occasion de la crise viticole et comme cela s'est fait également dans de nombreuses autres communes de la région. Voyons par exemple la brève parue dans le journal Le Rappel du 19 juin 1907.
La crise viticole
Perpignan, 17 juin
Le conseil municipal de Prugnanes a adressé sa démission au préfet, en lui donnant l'assurance de ses sentiments républicains.
Retrouvez ici tous les articles de ce blog en rapport avec les Fenouillèdes et là toutes les histoires impliquant des curés !
Sources : Gallica (cf. liens)
Carte : Openstreetmap, via Wikicommons (CC-BY-SA)
Note : Prugnanes fait partie des 9 communes des Pyrénées-Orientales sur Wikipédia dont l'article n'a aucune photo et je n'ai trouvé ailleurs sur le Web aucune image libre de réutilisation concernant le village ou son église. Je pense que je vais devoir aller y faire un tour !
Mais revenons au curé de Prugnanes, qui se fait déjà remarquer dans la presse nationale en 1901, en tant que sujet de moquerie dans L'Aurore du 8 décembre 1901.
Il y avait quelque temps que nous n'avions entendu parler de l'église ou de la chapelle qui menace ruine, et pour la réparation de laquelle un desservant désespéré tend une aumônière qui ressemble au tonneau des Danaïdes. La voici. Un de nos lecteurs nous envoie la circulaire par laquelle le curé de Prugnanes sollicite les âmes généreuses en faveur de son église « dont la voûte est tombée depuis longtemps ». Même il complète le tableau par quelques mots bien sentis sur la sacristie, « inondée à la moindre pluie », sur les ornements qui sont « dans un état pitoyable », et sur les chaises « qui ne tiennent pas debout ».
La commune, dont la population s'élève à 180 habitants, lui a donné une subvention de 1,000 francs, ce qui a dû fortement écorner le budget d'un petit trou pas riche dons nous ne froisserons pas la vanité en disant qu'il ne dispose pas tout à fait des mêmes ressources que Paris ; l'Etat lui a accordé un secours de 300 francs et ses paroissiens lui ont donné plus de 500 francs. Enfin l'Evêque de Perpignan lui a accordé les reliques de la Vraie Croix et de Saint-Martin, et on lui offre une statue de la Vierge.
Mais le curé de Prugnanes est insatiable. Il lui faut des reliquaires pour ses reliques, il lui faut payer le port de sa statue ; « il lui faut des ornements convenables, et il n'a pas même de crucifix dans l'église ».
Aussi est-il prêt à recevoir la moindre obole avec reconnaissance. « Un franc, cinquante centimes ou même un simple timbre (sic) sont à la portée de toutes les âmes zélées pour la gloire de Dieu ». Mais si le cœur vous en dit, vous êtes libres d'envoyer 10 francs, ce qui vous donnera droit à dix messes. Allons ! allons ! âmes pieuses, un peu de courage à la poche !
Une brève parue dans le journal La Croix du 26 avril 1905 nous révèle le nom du curé :
Nos amis défunts
Mme Anne Tourné de Massota, mère de M. le curé de Prugnanes (Pyrénées-Orientales), dont la Semaine religieuse de Perpignan relate avec de grands éloges les touchantes funérailles.
Les années 1905 à 1907 sont particulièrement propices aux conflits, entre la Loi de séparation des Églises et de l'État de 1905 et la querelle des inventaires qui suit en 1906, le tout étant la cause d'une certaine tension permanente entre religieux et laïcs. Le maire de Prugnanes semble à cette période avoir une dent contre le curé, ainsi que le révèle le journal Le Temps du 22 juin 1906. Ce dernier n'a toutefois pas l'air d'être d'un caractère facile.
Perpignan, 21 juin
Ce matin, comparaissait devant le tribunal correctionnel de Perpignan le curé de Prugnanes, accusé d'avoir injurié, dans une lettre adressée au procureur de la République, le maire de la commune, qui avait refusé de lui signer une demande d'allocation.
Le curé, qui était poursuivi également pour avoir injurié en chaire le président de la République, à été condamné à quinze jours de prison, avec sursis.
Il a été relaxé.
Malgré ce conflit, le curé recevra rapidement son allocation, ainsi que le prouve le Journal officiel du 24 juillet 1906, citant l'arrêté du 23 juillet 1906 approuvant l'attribution d'allocations durant huit ans à une liste de ministres des cultes dans laquelle il figure, avec cinq autres curés du département :
Monet, desservant à Urbanya (Pyrénées-Orientales)
Puy, desservant à Matemale (Pyrénées-Orientales)
Respaut, desservant à Campome (Pyrénées-Orientales)
Salvadou, desservant à Conat (Pyrénées-Orientales)
Sol, desservant à Trévillach (Pyrénées-Orientales)
Tourné, desservant à Prugnanes (Pyrénées-Orientales)
La tension ne semble cependant pas être retombée l'année suivante, ainsi que nous l'indique encore le journal Le Temps du 23 janvier 1907, puisque l'on finit même par se battre dans l'église Saint-Martin, un jour d'enterrement de surcroît.
A Prugnanes (arrondissement de Perpignan) de graves incidents se sont produits à l'occasion des obsèques d'une dame. Au moment où le cortège allait entrer dans l'église, l'abbé Tourné, curé de Prugnanes, s'avança sur la porte et interdit au cortège l'accès de l'église. Le maire donne aussitôt l'ordre de laisser pénétrer dans l'église et comme l'abbé Tourné protestait, le maire passa outre, assisté du garde-champêtre et ayant à sa suite la majeure partie du cortège pénètre dans l'église. Le curé s'élève alors contre les violences dont, dit-il, il vient d'être l'objet. Des assistants ripostent. Les parents de la défunte se mêlent à la discussion. C'est une mêlée générale ; des coups sont échangés. Finalement, les assistants prennent le parti de chanter eux-mêmes la messe.
C'est la dernière fois que la presse nationale mentionne le curé Tourné, de Prugnanes. Notons que le maire et son conseil municipal démissionnent en bloc quelques mois plus tard, à l'occasion de la crise viticole et comme cela s'est fait également dans de nombreuses autres communes de la région. Voyons par exemple la brève parue dans le journal Le Rappel du 19 juin 1907.
La crise viticole
Perpignan, 17 juin
Le conseil municipal de Prugnanes a adressé sa démission au préfet, en lui donnant l'assurance de ses sentiments républicains.
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Sources : Gallica (cf. liens)
Carte : Openstreetmap, via Wikicommons (CC-BY-SA)
Note : Prugnanes fait partie des 9 communes des Pyrénées-Orientales sur Wikipédia dont l'article n'a aucune photo et je n'ai trouvé ailleurs sur le Web aucune image libre de réutilisation concernant le village ou son église. Je pense que je vais devoir aller y faire un tour !
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