samedi 25 février 2017

Un maire anti-clérical à Pollestres en 1882

Nous avions pu lire dans un article précédent un rapport fait par le journal catholique et royaliste L'Espérance du 4 janvier 1882 concernant le maire de Pollestres. Celui-ci était accusé d'avoir édicté en décembre de l'année passée un arrêté municipal interdisant les processions religieuses sur le territoire de sa commune.

Dix jours se sont écoulés et le maire de Pollestres décide de répondre au journal. Le citoyen Janer, c'est son nom, est à la fois un boucher de métier et un athée convaincu. Il profite de l'espace qui lui est alloué pour insulter le journal, les pratiques religieuses traditionnelles et les costumes des curés (qu'il voudrait enfermer dans leurs églises). Bien sûr, le journal ne se prive pas non plus de répondre à ce courrier virulent.
Il n'est pas sûr, de nos jours, que l'on arrive à trouver beaucoup de maires aussi intransigeants face à la religion...

Vieux papiers des Pyrénées-Orientales

Un maire qui offre l'hommage
de son athéïsme

La commune de Pollestres possède 579 habitants, et un maire du nom de Janer. Ce maire, qui sait à peine signer, nous écrit, en belle écriture, une lettre qui ferait honneur à l'habileté et au savoir du maître d'école, suivant le cœur de M. Paul Bert. Voici cette lettre :

A Monsieur le Directeur de l'
Espérance,

Monsieur,
Parmi les mesures hygiéniques que je m'impose, et dont je recommande l'observation à mes administrés, figurent en première et en seconde ligne, celles qui consistent à ne pas lire l'
Espérance, et à écarter des habitations les tas de fumier.
C'est pourquoi je n'avais pas encore répondu à la note que cette feuille a bien voulu me consacrer dans son numéro du 4 janvier.
Aujourd'hui un ami de Perpignan me communique cette note et je m'empresse de vous accorder la satisfaction, d'ailleurs légitime, que vous réclamez très poliment.
Mon arrêté interdisant les processions a voulu viser, en outre, la manifestation
religieuse du samedi saint, qui rappelle à quelques imbéciles le prétendu passage de l'ange exterminateur, et qui est tout à fait pratique pour les curés, lesquels échangent, à cette occasion, une pincée de sel de cuisine contre des œufs de Pâques ou de bons saucissons, donnés et reçus à l'insu des maris.
J'ai voulu prévenir encore d'autres excentricités fort divertissantes, mais je n'ai pas le droit de m'emparer des colonnes de votre journal et je n'en dirai rien.
Pour ce qui est des enterrements
religieux, je les interdirais aussi si j'en avais le pouvoir. On serait libre de faire les cérémonies à l'église, mais ni la croix, ni le prêtre vêtu en arlequin n'auraient le droit de parcourir la voie publique... à moins que ce ne fût en carnaval.
Veuillez agréer, monsieur, l'hommage de mon athéisme.

Le maire de Pollestres,
Janer.
Pollestres, le 12 janvier 1882.

Vieux papiers des Pyrénées-Orientales
L'église Saint-Martin de Pollestres


Le Républicain et L'Eclaireur ont déjà donné hier cette lettre, mais ce dernier n'a pas voulu faire dire à M. Janer qu'un prêtre est vêtu en arlequin lorsqu'il porte ses habits sacerdotaux, ou bien il n'a pas voulu prendre la responsabilité de cet outrage public à la religion.
Le citoyen Janer est boucher de son état. Il a, dit-on, dans son conseil privé un bourrelier, un menuisier et un certain
Ca foll qui serait l'inspirateur et le conseiller ordinaire du citoyen maire. Ces grosses têtes ont délibéré dix jours pour produire cette jolie chose qu'on vient de lire, où l'insolence, la bêtise, l'insulte et l'athéïsme se donnent la main.
Le sieur Janer reconnaît que nous l'avons
questionné très poliment ; mais lui cependant ne se croit pas tenu à tant de politesse, il compare l'Espérance à du fumier, il en interdit la lecture à ses heureux administrés. Il leur enseigne que le prêtre officiant est un arlequin et qu'il voudrait pouvoir l'enfermer dans son église. Quel homme que ce M. Janer ! c'est bien le républicain de l'avenir : il salue avec son athéisme ; alors ce sera du propre, surtout si Cafoll est encore là pour le conseiller, pour lui lire le journal, et lui tenir la main.
Il n'est pas nécessaire de faire à M. Janer boucher, maire de Pollestres, l'honneur de discuter plus longtemps de ses sottises, il nous suffit de prendre l'hommage qu'il nous fait de son athéisme et de le repousser du pied.

S. Nobens

Source : L'Espérance du 15 janvier 1882 [domaine public], via le fonds numérisé de la Médiathèque de Perpignan.
Photo bandeau journal : Fabricio Cardenas [cc-by-sa]
Photo église de Pollestres : Sylenius [cc-by-sa], via Wikimedia Commons



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vendredi 17 février 2017

Mort de Monseigneur Gaussail à Perpignan en 1899

Un président et un évêque de vie à trépas

Monseigneur Noël Gaussail, originaire du Tarn-et-Garonne, est nommé évêque de Perpignan en 1886, après avoir été brièvement évêque d'Oran. Sans doute moins populaire que son successeur, Jules Carsalade du Pont, il restera tout de même à cette charge treize années durant. Il aura notamment consacré quelques églises, dont celle de Pézilla-la-Rivière, fait restaurer le maître-autel de la cathédrale de Perpignan et même publié un catéchisme en catalan en 1898.

Vieux papiers des Pyrénées-Orientales
Mgr Gaussail, alors évêque d'Oran, en 1884


Le journal Le Roussillon du samedi 18 février 1899 nous apprend sa mort subite la nuit de la veille, précisément à minuit passé de vingt minutes. Si l'on peut être surpris de prime abord de ne trouver cette information que sur une colonne en page 3, le fait s'explique en réalité aisément, Monseigneur Gaussail ayant eu la mauvaise idée de mourir le lendemain de la mort du Président de la République d'alors, Félix Faure. Ce dernier, supposément mort d'une « attaque d'apoplexie foudroyante » (selon le communiqué officiel), aurait en fait d'après la rumeur été retrouvé mort tenant la tête de sa maîtresse entre ses jambes. Il n'en fallait pas plus pour déclencher les moqueries des journaux de l'époque et susciter nombre de plaisanteries restées célèbres, relatives à la fois à sa vanité et à ses aventures extra-conjugales (dont le fameux « Il voulait être César, il ne fut que Pompée »). Rien de tout cela malgré tout dans Le Roussillon, journal catholique et royaliste, qui se contente alors de simplement relater les faits.

Vieux papiers des Pyrénées-Orientales
Félix Faure, mort un jour avant Mgr Gaussail


Voyons donc ce que nous dit le journal du 18 février sur la mort de Monseigneur Gaussail.

Mort de S. G. Mgr Noël Gaussail
évêque de Perpignan

La mort vient de frapper un terrible coup au milieu de nous. Notre bien-aimé Evêque et Père en Dieu, Monseigneur Gaussail nous a été ravi dans la nuit de jeudi à vendredi, quelques instants après minuit.
La nouvelle s'est bien vite répandue, dès les premières heures, dans les rues de notre ville, et y a produit un véritablement sentiment de stupeur. On ignorait que Monseigneur fût souffrant, et rien ne faisait prévoir un dénouement si proche. Il avait assisté mardi dernier à la séance dramatique, donnée à l'Institution Saint-Louis-de-Gonzague ; le jour même de sa mort il devait célébrer la Sainte Messe pour les dames de l'Œuvre des Catéchismes, à qui il avait donné rendez-vous dans sa chapelle.
La mort est venue brusquement, presque à l'improviste.
Depuis Noël, Monseigneur se sentait fatigué : il souffrait de douleurs dans la région du cœur ; le mal lui laissait toute liberté pour vaquer à ses occupations, mais l'empêchait de marcher.
Voilà pourquoi Monseigneur n'avait plus paru à la Cathédrale depuis les fêtes de la Noël. Cet état de santé n'inspirait cependant pas pour le moment de graves inquiétudes. Jeudi soir, Monseigneur s'était couché comme d'habitude.
Vers minuit, il fut réveillé par la douleur, et il comprit que sa dernière heure était venue.
Il appela auprès de lui le personnel de l'Evêché. Monsieur le chanoine Rabaud, secrétaire général, arriva le premier, et entendit la confession du Prélat. M. le Chanoine offrit de lui donner l'Extrême-Onction. « Oui, répondit Monseigneur, qui a sans cesse conservé le calme devant la mort, oui, et hâtez-vous... hâtez-vous, a-t-il ajouté une seconde fois, car je vais mourir. » Après avoir reçu les sacrements, Monseigneur rendit son âme à Dieu. Il était minuit vingt minutes.
MM; les vicaires généraux, et M. le Supérieur du Grand-Séminaire, appelés en toute hâte, arrivèrent après l'issue fatale.

Le corps de Monseigneur repose en ce moment dans sa chambre. Après l'embaumement, il sera exposé dans une chapelle ardente, où les fidèles pourront venir prier pour le repos de son âme.
Les obsèques sont fixées à mardi prochain à 9 heures du matin.

(Semaine Religieuse)


F.I.


Le numéro du lundi 20 février 1899 nous donne quelques détails sur le protocole et l'itinéraire du cortège funèbre, jusqu'à la cathédrale Saint-Jean-Baptiste de Perpignan.

Vieux papiers des Pyrénées-Orientales
La cathédrale de Perpignan


(...) Le glas funèbre sera sonné chaque jour dans toutes les églises [du diocèse], après l'Angelus, jusqu'à mercredi inclusivement.

Départ de l'Evêché à 9 heures. La tête du cortège étant arrivée devant le palais épiscopal, continuera sa marche par les rues Mailly, Porte-d'Assaut, place Arago, rue Alsace-Lorraine, place Laborie, rue de la Loge, place de la Loge, rue Saint-Jean, place d'Armes.

La cérémonie sera présidée par Mgr Mathieu, archevêque de Toulouse, assisté de Nos Seigneurs de Cabrières, l'éminent évêque de Montpellier, Rougerie, évêque de Pamiers, Enard, évêque de Cahors, Germain, évêque de Rodez, l'Abbé mitré de la Trappe.


Le numéro du mardi 21 février 1899 donne le compte-rendu détaillé des dites obsèques. On retiendra notamment qu'était présente « une foule énorme », où figuraient notamment toutes les catégories de personnel religieux du département, de très nombreux fidèles, ainsi que l'essentiel des notables et des personnalités politiques locales.

A la suite des premiers cortèges religieux venait « (...) le char funèbre traîné par quatre chevaux noirs carapaçonnés, tenus en main. » L'un des quatre cordons était tenu par le maire de Perpignan lui-même, Louis Caulas.

Le portail extérieur de la cathédrale ainsi que tous les espaces intérieurs étaient drapés de noirs, produisant un effet saisissant sur l'assistance, accentué par la puissance et la gravité des grandes orgues durant la messe.
Monseigneur Gaussail fut inhumé au sein de la cathédrale.

Sources : Le Roussillon des 18, 20 et 21 février 1899 [domaine public], via le fonds numérisé de la Médiathèque de Perpignan.
Portrait Noël Gaussail : Gravure anonyme (1884) [domaine public]

Portrait officiel Félix Faure : Pierre Petit (1832–1909) [domaine public]
Photo cathédrale : Alkhimov Maxim [cc-by]




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