Hommage impérial à un républicain
De tous les membres de la famille Arago, François, né à Estagel en 1786, est sans conteste le plus célèbre. Physicien et astronome élu membre de l'Académie des Sciences à seulement 23 ans, puis entré en politique sur le tard pour, excusez du peu, être élu député, devenir ministre puis chef de l'Etat français de facto en 1848 durant la brève Seconde République, François Arago restera toute sa vie un républicain convaincu qui refusera toujours de prêter le serment de fidélité à Louis-Napoléon Bonaparte puis, plus tard, à l'Empereur. Son prestige immense et sa santé déclinante firent qu'il ne fut jamais inquiété, selon la volonté de Napoléon III lui-même, semble-t-il. Mort en 1853, il reste une référence pour beaucoup encore durant plusieurs décennies.
C'est donc logiquement qu'il est décidé, à l'initiative du député des Pyrénées-Orientales et homme d'affaires très fortuné Isaac Pereire et du sénateur et polytechnicien Michel Chevalier, de lui rendre hommage par une statue. Inaugurée à Estagel le 31 août 1865, elle est l'oeuvre du sculpteur Alexandre Oliva (1823-1890), et sera malheureusement fondue par les Allemands en 1942, avant d'être remplacée en 1957 par une autre, réalisée cette fois-ci par le sculpteur Marcel Homs et inaugurée également un 31 août.
La statue d'Arago par Oliva à Estagel |
Mais revenons en 1865. Le Journal des Pyrénées-Orientales, dans son numéro du 1er septembre, nous narre le déroulement de l'inauguration de cette fameuse statue.
Inauguration de la statue de François ARAGO.
Une solennité imposante avait réuni, hier, 31 août, une affluence inusitée, dans la commune d'Estagel. Il s'agissait de l'inauguration de la statue élevée à la mémoire de notre illustre compatriote François Arago.
La présence de hauts dignitaires de l'Etat et des sommités des sciences et des lettres, ajoutait à l'éclat de cette fête de la reconnaissance publique envers l'illustre savant dont le monde entier déplore la perte.
A côté de M. I. Pereire, on remarquait sur l'estrade d'honneur, MM. le général de division baron Renault, Michel Chevalier, sénateurs ; MM. J. Bertrand, Claire Deville, Claude Bernard et Duhamel, membres de l'Institut ; M. Niol, général commandant la 11e division militaire, M. de St-Pierre, préfet du département, M. le général Cambriels, commandant la subdivision des Pyrénées-Orientales, MM. les membres du Conseil de Préfecture, des membres du Conseil général du département,
MM. les membres de la Commision du monument, M. Passama, maire de Perpignan, M. Tournal, adjoint, le Conseil municipal de Perpignan, les autorités locales d'Estagel, plusieurs fonctionnaires du département, et enfin, les représentants de la presse Parisienne.
Les populations accourues des communes du département, stationnaient sur la place qui, en ce moment, offrait le coup-d'oeil le plus ravissant.
Huit arc-de-triomphes d'un goût parfait avaient été dressés sur la place et dans les rues de la commune et portaient des inscriptions à l'Empereur, à l'Impératrice, au Prince Impérial, à François Arago et à M. I. Pereire. Toutes les fenêtres étaient pavoisées et garnies de fleurs.
A midi, des détonations annoncèrent l'arrivée des invités. M. le maire, son adjoint et le Conseil municipal d'Estagel ont été les recevoir, et sont entrés à Estagel, précédés de la musique du 2e régiment de ligne et des orphéons. Le cortège a pris place sur l'estrade d'honneur qui entourait le monument.
Les orphéons réunis ont exécuté avec une rare perfection une cantate à François Arago, dont les paroles sont dues à M. Blanc et la musique à M. Baille.
Dans ce moment, une détonation s'est fait entendre et le voile qui cachait la statue a été enlevé ; des cris de Vive Arago ! ont éclaté de toutes parts. Cette oeuvre magnifique est due à notre compatriote M. Oliva, l'un des statuaires les plus distingués, présent à la cérémonie.
Quand le silence a pu être rétabli, M. I. Pereire, député des Pyrénées-Orientales, M. J. Bertrand, membre de l'Institut, et M. Michel Chevalier, sénateur, ont pris successivement la parole. Les éloquents discours qui ont été prononcés et que nous regrettons de ne pouvoir publier aujourd'hui, ont trouvé l'écho dans tous les coeurs Roussillonnais et ont provoqué des applaudissements unanimes.
La cérémonie terminée, plus de 160 convives ont pris place au banquet offert par M. I. Pereire. Pendant ce temps, la musique du 2e de ligne a joué les morceaux les plus variés de son répertoire. des toasts, que nous regrettons aussi de ne pouvoir reproduire aujourd'hui, ont été portés.
Cette belle journée, pendant laquelle l'ordre le plus parfait n'a cessé de régner, s'est terminée par des illuminations.
On remarquait à Estagel des dessinateurs et des photographes de Paris et de Perpignan.
Nous avons à regretter que le programme de la grande journée d'Estagel ne nous ait point été communiqué, afin de donner d'avance à cette fête nationale la publicité du journal. - J.-B. Rodange.
Dans les numéros suivants, le même journal publie in extenso le discours de M. Isaac Pereire, qui dresse le portrait du personnage et résume ses carrières scientifique et politique. On trouve aussi le résumé du toast porté par M. le général, sénateur baron Renault, président du Conseil général, qui se conclue ainsi :
Messieurs buvons :
A l'Empereur,
A l'Impératrice,
Au Prince Impérial.
Toutes les allocutions prononcées ce jour-là ne manquèrent d'ailleurs pas de comporter quelques passages à la gloire de l'Empereur, fait assez ironique connaissant les opinions politiques de François Arago.
Pour les courageux, le site Gallica permet de lire en ligne le discours complet de M. Isaac Pereire (24 pages), ainsi que, édités par l'Académie des Sciences, les discours de Michel Chevalier et Joseph Bertrand (43 pages en tout).
Enfin, on apprend dans le numéro du 5 septembre que la journée s'est terminée par un accident sur la route de Cases-de-Pène.
La fin de la journée de l'inauguration de la statue de François Arago a été attristée par un malheureux événement qui a vivement impressionné la population. Une voiture, dans laquelle se trouvaient plusieurs personnes qui avaient pris part à la cérémonie, a versé sur la grand-route, à peu de distance de Cases-de-Pène.
M. Saléla, avocat à Prades, a eu le bras fracturé. Les autres personnes n'ont eu que de légères contusions.
Nous sommes heureux d'apprendre que l'état de M. Saléla est aussi bien que possible. J.-B. Rodange
Le numéro du 8 septembre nous précise que M. Saléla, accidenté, était justement en charge du toast en l'honneur du sculpteur Alexandre Oliva.
Sources :
* Journal des Pyrénées-Orientales du 1er, du 5 et du 8 septembre 1865 [domaine public], via le fonds numérisé de la Bibliothèque de Perpignan.
* Notice de la statue sur la base Mistral.
Photo : Carte postale anonyme [domaine public]
Pour rappel, les autres articles de ce blog sur la famille Arago sont à relire ici.
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