jeudi 2 octobre 2014

Un courageux poilu de La Cabanasse en 1914

Le drapeau du 24e RIC vers 1920
Le journal La Lanterne nous relate dans son édition du 28 novembre 1914 les faits de gloire d'un caporal originaire de La Cabanasse (253 habitants en 1911) et soldat du 24ème régiment d'infanterie coloniale, originaire de Perpignan.

 Le journal ne précise pas les lieux ni la date exacte des événements, mais on sait que le 24e RIC est en 1914 engagé en septembre dans la première bataille de la Marne, où il se distingue et subit de lourdes pertes, puis maintient ses positions jusqu'à la fin de l'année.

« Mon colonel
acceptez cette tranchée... »

Le « Journal Officiel » a publié la citation suivante : « Est inscrit au tableau pour la médaille militaire, le caporal Philip, du 24e d'infanterie coloniale ; se porta sur la ligne de feu, sous une vive fusillade, pour relever un officier blessé ; de plus, étant en patrouille mit en fuite une troupe numériquement supérieure, nous assurant la possession d'une tranchée ; blessé plusieurs fois, ne se fit panser que vingt-quatre heures après, refusant d'être évacué ; fut ensuite grièvement blessé. »

Le courageux caporal François Philip, dont il est question, est originaire de la Cabanasse (arrondissement de Prades); il est arrivé à Perpignan avec le dernier convoi de blessés, et un de nos collaborateurs a pu le voir à l'hôpital auxiliaire de l'Union des femmes de France, où il est en traitement.
Sans parler du courage qu'il déploya en relevant, et en sauvant, sous une fusillade terrible, son lieutenant grièvement blessé et que les Allemands allaient emporter, voici le fait principal qui a valu à Philip la médaille militaire. 


Un jour, le colonel C. ayant besoin d'être renseigné sur les forces ennemies, fait appeler Philip.
- Je te sais brave et courageux, lui dit-il, c'est pourquoi je vais te charger d'une mission extrêmement périlleuse.
- La nuit venue, tu prendras 25 hommes et tu iras sur cette crête où l'on voit des soldats
allemands faire une tranchée. Tu tâcheras de rester là jusqu'au matin, en te dissimulant, toi et tes hommes, puis tu viendras me rendre compte de ce que tu auras vu.
- C'est bien, mon colonel, j'irai, dit Philip sans hésitation. 

- Sais-tu que tu risques ta vie et celle de tes compagnons ? 
- Je le sais, mon colonel, mais je n'ai pas peur de la mort: c'est pour la France !
A ces mots, le colonel, ému, embrasse Philip qui, très ferme, recrute 25 volontaires aussi bien trempés que lui. La petite troupe part. Les autres coloniaux la suivent des yeux ; puis, la nuit s'épaississant, elle disparaît dans l'ombre. Arrivé près de la crête, Philip aperçoit des soldats du génie allemand creusant une tranchée, pendant qu'une sentinelle fait les cent pas et monte la garde près d'eux. Philip fait dissimuler ses hommes dans un petit bois, avec défense de bouger et de crier, quoi qu'ils entendent. Il emmène avec lui un camarade et lui dit :
- Quand nous serons près de la sentinelle allemande, et que celle-ci criera : « Wer da ! (Qui va là ?) », tu te tiendras à l'écart de moi, sur la gauche, et tu feras du bruit avec ta baïonnette de façon à faire retourner la sentinelle vers toi. Quoi que fasse le Boche, quoi que je fasse, ne dis rien, couche-toi sur le sol et attends mes ordres.


Les deux hommes avancent sans bruit ; ils ne sont qu'à deux pas de la sentinelle allemande qui se promène en fredonnant un air du pays. Philip prend à droite, et en marchant fait un petit bruit.

- Wer da ! crie le Boche.
A ce moment, l'autre colonial, exécutant la consigne, remue la baïonnette dans le fourreau. La sentinelle se retourne vers la gauche. C'est ce qu'attendait Philip, qui, posté à droite, bondit sur l'Allemand lui plante par deux fois sa baïonnette dans la poitrine et saisit son fusil. La sentinelle s'écroule sans pousser un cri. Prestement Philip, sans être vu des soldats qui travaillaient à vingt mètres plus loin à faire la tranchée, prend le manteau, le casque et le fusil de la sentinelle et se met à monter la garde à sa place; de temps à autre, il fait rouler le cadavre du Boche pour le dissimuler le
plus possible. Bientôt, la tranchée étant finie, les soldats allemands partent pour rejoindre le gros des troupes, non sans adresser un salut amical à la sentinelle qui à leur grand étonnement, continue sa promenade sans leur répondre. Quand ils ont disparu, Philip jette son casque et son manteau allemand, court dans le bois chercher ses camarades, et les 26 coloniaux s'installent dans la tranchée allemande. Au petit jour, une compagnie bavaroise arrive pour prendre possession de la tranchée préparée par le génie. Elle avance sans méfiance, les soldats devisant et plaisantant entre eux. Quand ils ne sont plus qu'à quelques pas, Philip et ses 25 camarades tirent sur eux sans répit. Un grand nombre d'Allemands tombent ; les autres veulent prendre la tranchée d'assaut : un feu meurtrier décime les téméraires et met les autres en fuite, sauf 18 qui lèvent les bras et se rendent. Pendant ce temps, le 24e colonial, entendant la fusillade s'avance au pas de charge, le colonel en tête. Philip court vers lui et lui dit :
- Mon colonel, j'ai le plaisir de vous offrir cette tranchée : elle est sur la crête ; vous pourrez vous rendre compte d'ici, mieux que moi, de la position des forces allemandes.


Le colonel, les larmes aux yeux, félicite Philip que le régiment tout entier acclame avec frénésie. Devant toutes les troupes la médaille militaire est remise au caporal Philip sur le théâtre de ses exploits.
Quelques jours après, Philip est touché au bras droit et à l'épaule droite. Malgré sa double blessure, il refuse d'aller à l'ambulance. II continue à combattre et descend un officier allemand ; Philip, voyant l'officier blessé, se porte vers lui pour le faire prisonnier et lui porter secours.
Mais au même moment, l'officier allemand braque son revolver sur le vaillant caporal et lui fracasse l'épaule d'une balle. Malgré la douleur, Philip a encore la force de prendre son fusil et de broyer le
crâne de l'officier allemand à coups de crosse, Le caporal Philip, épuisé par sa triple blessure, est emporté à l'ambulance et de là évacué sur l'hôpital de Mâcon, puis sur l'hôpital militaire de Perpignan.


Note 1 : Le caporal Philip n'apparaît pas dans les bases de données recensant les morts pour la France victimes de la Première Guerre mondiale. On peut donc supposer qu'il a survécu à ses blessures. Quelqu'un pourra peut-être nous renseigner sur ce qu'il est advenu de ce valeureux militaire après la guerre ?
Note 2 : Bien qu'ayant consulté le journal de ce régiment pour l'année 1914, je n'ai pas trouvé trace de cet événement, mais j'ai pu le manquer, l'écriture de ce journal étant essentiellement constituée à proprement parler de pattes de mouches souvent peu lisibles.

Ajout du 13/11/2017 : Grâce aux informations fournies par une lectrice de ce blog et généalogiste, je sais désormais que notre valeureux caporal est François Philip, né à La Cabanasse en 1892 et marié à Thuir en 1919, ce qui confirme qu'il a bien survécu à la guerre.

Sources : 
* La Lanterne du 28 novembre 1914 via Gallica (cf. lien article)
* Historique du 24e régiment d'infanterie coloniale : guerre 1914-1918, Perpignan, éd. Barrière, 1920
Photo : op. cité, cliché Ferrier ou Perrier (nom peu lisible), Perpignan [domaine public]

A relire à propos de la commune de La Cabanasse :



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